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Réflexion sur le libre échange et le capitalisme

L’objectif de ce texte est d’apporter une contribution aux réflexions sur le libre échange. Régulièrement dans les discussions politico-économiques, nous constatons des assimilations et glissements de langage entre libre-échange, libéralisme, néolibéralisme et capitalisme. Aussi usant de ma formation d’économiste, de ma pratique de patron de PME , ainsi que de réflexions partagées aux seins de divers groupes MCC ou EDC (mouvement de cadres et dirigeants chrétiens), ou de mouvements prônant la taxation des capitaux spéculatifs, j’ai consacré quelques week-end et soirées à cet essai.

C’est à dessein que le mot libre échange est employé ici pour le dissocier du libéralisme, qui est devenu une idéologie économique justifiant le capitalisme. De même le mot néo-libéralisme a été évité pour la clarté du propos : celui-ci ne serait-il pas une version du capitalisme, c’est à dire un libéralisme, pas trop libéral et de plus en plus inégal ?

  Tout d’abord, je propose de résumer brièvement les principaux méfaits du capitalisme et a contrario les forces de la libre circulation économique : le libre échange. Après une ébauche d’analyse sur le marché et le capitalisme actuel, je me risquerai à des orientations et des suggestions.

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SOMMAIRE

A Méfaits du capitalisme et force du libre échange ………………………….. …….. p 2

Les méfaits, les forces, l’évolution de ces manifestations

Trois questions

B Une économie de marché diversement capitaliste………………………………….. p 4

1 Les matières premières agricoles

2 Les ressources minières et énergétiques

3 Biens industriels transformés et services

C Le c½ur du capitalisme : la rémunération permanente de capitaux accumulés ….p 9

1 La libre circulation des capitaux

2 La rémunération du capital : L’intérêt, Le dividende, La plus value …p11

3 Accumulation individuelle et collective …………………………… p16

4 Accumulation et développement………………………………………p18

5 Le rendement du capital possède ses normes………………………….p20

D Des orientations et des suggestions………………………………………………..... p 23

1 Eléments de réponse à nos trois questions

2 Suggestions : une fiscalité anticapitaliste ……………...……… …….p 25

2.1 Réformer la taxation des plus values

2.2 Moins taxer les capitaux réinvestis

2.3 La maîtrise de taux d’intérêt faibles

2.4 La maîtrise de l’accumulation

2.5 La transmission du capital

2.6 Impôt sur le revenu et ISF

3 Des débats annexes revisités ………………………………………… p 32

3.1 Capitalisme triomphant et échec des économies socialistes

3.2 Plus ou moins de service public ?

3.3 Caractère privé ou public des moyens de production

3.4 Le rôle de l’Etat national

3.5 Une Europe de libre échange, sociale et anticapitaliste.

A Méfaits du capitalisme et forces du libre échange.



1 Les Méfaits du capitalisme:


Rappelons rapidement les principaux défauts du système capitaliste actuel :


- On y observe une inégalité flagrante d’accès aux richesses, inégalité qui ne se réduit pas malgré le progrès social, mais au contraire s’accentue à la fois entre pays riches et les autres, comme à l’intérieur des pays développés entre les plus riches et les rejetés du système. (voir divers travaux bien résumés dans Alternatives économiques)

- Le système se révèle souvent incapable de penser le long terme (et en particulier de prendre en compte la préservation des ressources de bases de notre planète), soit parce que ces conséquences ne coûtent rien aux décideurs, soit parce que le problème dépasse l’horizon d’évaluation des managers et des actionnaires privés.

-Les décisions sont le plus souvent anonymes, et de plus en plus centralisées chez les principales grandes sociétés internationales, et semblent déterminées par une logique aveugle, le profit, qui fait peu de cas des citoyens moyens.

-Conséquence du poids de ces sociétés internationales : l’élaboration de décisions importantes pour la collectivité échappe pour une grande part à un contrôle démocratique.

-Il existe une pression permanente sur la rémunération du travail qui provoque des destructions d’emploi et des délocalisations.

-Le système génère des crises de la demande, ainsi que de crises financières. Régulièrement on constate un abandon d’actifs ou des dévalorisations de titres en bourse, un éclatement de bulles financières qui pénalisent les moins informés, mais ne diminuent en rien la tendance à la concentration des capitaux donc de la richesse et du pouvoir.



2 Les forces du libre échange :

De même constatons les avantages du libre échange :


-La liberté de produire, acheter, vendre, économiser ou dépenser fait partie du besoin de liberté intrinsèque de l’homme, de sa capacité à vivre, à être reconnu et autonome dans une société.

-Chaque individu ou groupe d’individu a la possibilité de prendre sa place dans l’échange et y défendre son propre intérêt, (cette égalité d’accès est supposée être garantie dans une démocratie libérale)

-Sur ce marché chaque client, pour peu qu’il ait le choix entre plusieurs fournisseurs, (règle de la concurrence), transmet régulièrement à ces fournisseurs une information précieuse - sa décision d’acheter ou pas - sur l’adéquation de l’offre à son besoin.

-Les économies libérales ont accru réellement les richesses disponibles dans de nombreux pays (et pas seulement en pillant le tiers-monde…).

-Les organisations économiques qui ont restreint cette liberté sont le plus souvent devenues non seulement totalitaires mais peu efficaces dans la création de richesses.

-Les populations qui sont ou en ont été privées, rêvent d’accéder à cette liberté économique.


Il peut être tentant de railler cette liberté, en constatant qu’il s’agit d’une fausse impression de liberté : l’exemple «du loup dans la bergerie » ou de vilipender le conditionnement du consommateur par la publicité. Cependant même partielle, cette liberté existe et quand celle-ci manque, elle est revendiquée et parfois obtenue à issue de luttes héroïques. Elle correspond à un besoin profond tant individuel que collectif et ce serait une erreur de balayer d’un revers de main cet appétit de liberté associé au libre échange.

3 Ces forces et ces méfaits se manifestent différemment selon les époques :


Sans refaire de fresque historique générale, soulignons les évolutions récentes :


Les méfaits du système capitaliste se révèlent plus nettement lors de certaines périodes historiques : - crise de 1929- qui ont donné lieu ensuite par réaction à des politiques de relance de la demande et de meilleur partage de la richesse produite. Crise des années 1970 (le pétrole), mais aussi crise monétaire qui a aboutit à attribuer aux USA le contrôle final de la création monétaire mondiale. Plus récemment, les années 1985 à 2000 ont vu une nette évolution du partage de la valeur ajoutée : la part allant à la rémunération des capitaux a gagné quelques 10 points au détriment de la part travail, ce qui est considérable.

A l’inverse, le système capitalisme libéral n’est pas décrié quand toutes les classes d’une population en tirent une progression de revenus. Les politiques publiques d’inspiration keynésienne (mesures de relance économique), en confiant à l’Etat un rôle de régulation à contre cycle (politique monétaire et budgétaire), ont d’ailleurs permis d’atténuer considérablement les conséquences les plus désastreuses du fonctionnement du capitalisme.

En revanche la critique devient plus aiguë quand ses contradictions et ses tares sont trop voyantes. Dans la période récente, la crise de la bulle Internet, les manipulations de comptes des sociétés importantes (par ex : ENRON) et les dégâts sur l’environnement obligent les classes dirigeantes à s’interroger.

Aujourd’hui les instruments d’action propres à chaque Etat trouvent leur limite dans la mondialisation de l’économie. Comme par ailleurs les gestions économiques étatisées ont majoritairement échoué dans le monde, les dirigeants politiques manquent de repère.

C’est d’ailleurs paradoxalement cette situation qui permet aux mouvements alter mondialistes et ATTAC (pour la taxation des transactions financières) d’être écoutés. La récupération notamment en France par J. Chirac de l’idée d’une taxe globale sur les capitaux est un signe de la perplexité des classes sociales dominantes qui ne peuvent pas se cacher les dégâts de l’ordre mondial actuel.

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Les questions que nous nous posons tournent autour des formulations suivantes :


1 Doit-on considérer le libre-échange comme fondamentalement indissociable du capitalisme, et donc attaquer l’un et l’autre sans discernement ?


2 Les méfaits du capitalisme sont-ils le résultat d’un rapport de force défavorable à un moment donné, méfaits qui se trouveraient neutralisés, au besoin avec l’aide de l’Etat, lorsque le rapport capital/travail devient plus favorable à ce dernier ?

3 Y a-t-il un espace pour une organisation économique qui conserve les forces ou avantages du libre-échange et combattent ou neutralisent les méfaits du capitalisme ?


Avant d’essayer d’apporter une réponse directe, je propose deux détours : une analyse rapide de l’économie mondiale qui apparaît diversement capitaliste, et un essai d’analyse de fonctionnement du c½ur du capital


B Une économie diversement capitaliste


Distinguons les types d’échanges :



1 Les matières premières agricoles


L’échange peut être gagnant–gagnant ou parfaitement déséquilibré : Le déséquilibre de l’échange est très bien décrit lorsque l’écoulement d’une matière première agricole comme le café ou le cacao dépend d’un monopole ou d’un oligopole qui rend la négociation inégale. Premier effet : le producteur est souvent dans l’incapacité à maîtriser les cours sur le court terme (extrême volatilité des marchés ) ; deuxième effet : les termes de l’échange de certains produits agricoles se détériorent sur le long terme ; leur vente apporte à ces producteurs de moins en moins de pouvoir d’achat.


Le libre échange total des produits agricoles existe peu dans les faits : Chaque zone géographique qui en a le pouvoir -L’Europe avec ses aides agricoles, Les Etats-Unis avec leurs subventions massives- protègent leur agriculture comme ressource vitale.

Cela n’empêche pas ces mêmes pays développés : Etats-unis, Europe, de se faire une concurrence acharnée sur des produits comme les céréales pour vendre les surplus qu’ils ont subventionnés par ailleurs. Il existe en principe des lois anti trust qui régulent le libéralisme, mais en réalité celles-ci ne sont quasiment jamais opérantes sur le commerce des produits agricoles.

Au nom de cette concurrence, ces mêmes pays développés et/ou favorisés par un climat tempéré souhaiteraient imposer aux autres leur idéologie du libre-échange, défendant des théories de l’avantage comparatif, incitant les plus faibles ou à production plus limitée de se spécialiser dans des cultures d’exportations, au détriment de leur indépendance vitale.

Le désordre de cette organisation conduit à deux situations paradoxales et absurdes: la surproduction dans certaines zones et la dépendance totale alimentaire dans d’autres pays.

Il semble utile de souligner que le caractère privé capitaliste, coopératif ou mutualiste de la propriété des terres agricoles n’a que peu d’influence sur les termes de l’échange. Nous sommes dans une situation bien connue dans l’industrie ou les services : le fait de n’avoir qu’un ou deux clients dont on dépend pour écouler sa production produit inévitablement de l’échange inégal.

Ainsi ce secteur par sa nature échappe pour l’essentiel à une organisation libre-échangiste, (ce qui ne veut pas dire que localement il n’existe pas de marché ). Les désordres mondiaux de ce secteur existent aussi bien avec des modes de production de type privé capitaliste que coopératif ou étatique. Les causes de cette inégalité et le contrôle des richesses n’ont finalement pas beaucoup changé depuis l’époque coloniale, même si la propriété des terres y est moins coloniale et plus libre. La fixation des termes de l’échange est le résultat de luttes entre puissances économiques, de rapport de dépendance..

Ajoutons que le discours libre-échangiste appliqué au secteur agricole est souvent utilisé par les puissants pour perpétuer des situations de dépendance. De telles situations relèvent alors de l’imposture : Le puissant cherche à imposer à certains des règles dites de marché qu’il n’applique pas lui-même


2 Les ressources minières ou énergétiques

L’analyse précédente sur les produits agricoles se transpose aisément aux ressources minières. La lutte pour le contrôle de ces ressources y est même plus féroce. Les principaux conflits locaux entre pays au cours des siècles se superposent presque exactement avec une lutte pour le contrôle d’une matière première : pétrole, minerais, et maintenant l’eau etc..

Il n’y a rien de libéral dans l’échange, et le capital qui s’y investit est très proche du pouvoir politique. Ceci peut aussi s’énoncer à l’envers : le pouvoir politique est directement issu ou prend en compte directement cette classe d’intérêts économiques.

Deux considérations supplémentaires apparaissent en cette fin XX ème début XXI ème siècle : 

-1 la raréfaction de ces ressources primaires : le monde consomme plus qu’il ne découvre de richesses, et de sérieuses réflexions d’autolimitation apparaissent nécessaires, pour peu que l’on se préoccupe des générations à venir.

-2 les émissions polluantes dégradent les conditions de vie et obèrent la qualité de vie de notre descendance.

Ce qui est en cause ici, c’est la consommation primaire d’énergie et un modèle de développement durable.


Les sociétés privées qui exploitent ces ressources cherchent concrètement à rentabiliser le capital investi, du moins à l’horizon de leur retour sur investissement (une moyenne dépassant rarement les 7 à10 ans ), même si la ressource se tarit dans quelques dizaines d’années. Or l’épuisement des ressources implique des décisions qu’il faudrait prendre aujourd’hui, mais dont les effets réels ne seront perceptibles que dans des dizaines d’années, soit à un horizon qui dépasse le fonctionnement des marchés.

Ce secteur a un statut particulier dans l’organisation capitaliste :

-le libre marché est faussé par des situations de monopole et d’oligopole ;

-la gestion capitaliste ne se préoccupe pas de l’épuisement de ces ressources ni des conséquences sur l’environnement car il n’en paye pas le coût. Au mieux les prix montent lorsque la ressource devient rare.


Cette situation est-elle une conséquence du capitalisme ?

- oui dans la mesure où par nature le capitalisme n’a aucune raison d’éviter le gaspillage d’énergie tant que son coût peut se répercuter dans les prix de ventes

- oui, car le capitalisme a besoin d’une sphère marchande toujours plus grande

- oui dans la mesure où son besoin vital de faire tourner les échanges provoque un accroissement encore plus rapide des besoins de transports coûteux en énergie,

- oui, car le capitalisme aura tendance à privilégier les distributions d’énergie marchande qu’il peut contrôler, à toute auto production d’énergie non marchande.

Mais cela ne se réduit pas au capitalisme :

D’une part le capitalisme n’a aucun a priori idéologique sur le fait que l’énergie soit propre ou renouvelable : (si une sphère de biens (panneaux solaires par ex ) économise les ressources primaires, il l’investira dans la mesure où il génèrera une sphère marchande rentable. Les compagnies pétrolières investissent aussi dans le solaire, (et dans ce cas avec des conséquences bénéfiques pour la planète).

D’autre part, la pollution ou la raréfaction des ressources n’est pas exclusive du mode de fonctionnement capitaliste. C’est aussi un certain mode de vie, aujourd’hui plus ou moins voulu ou accepté, qui est en cause.



3 Biens industriels transformés  et services


Il n’est pas question ici de dresser une fresque de toutes les situations locales ou régionales de la planète, ni d’affiner en différenciant les biens d’équipement, des biens de consommation courante ou des produits agricoles transformés. Des milliers de situations particulières viendront sans doute nuancer certains de ces propos généraux ci-après; cependant il existe des tendances lourdes qui caractérisent ces échanges de biens ou services:

-La concurrence sur ces marchés y est souvent acharnée ; le marché de certains produits est aujourd’hui totalement planétaire : boissons, produits alimentaires transformés pouvant se conserver, électroménagers, ordinateurs, photo etc.… Il existe une bataille de géants pour la domination du marché mondial.

-La recherche, l’innovation sont des moteurs puissants de différenciation. Contrairement aux secteurs primaires, où la maîtrise de la part de marché confère un avantage à long terme quasi permanent (une rente), ici les découvertes et progrès bousculent très rapidement les positions acquises.

-Pour les produits ou services qui ont des techniques stabilisées et qui sont transportables, la différence de coût de main d’½uvre ( donc de niveau de vie entre pays) constitue un facteur puissant dans le choix d’une localisation mondiale.

-Le coût de production de ces produits ou services a tendance à baisser dès qu’un marché de masse apparaît.

-Le moteur du développement y est majoritairement d’origine privée ; les productions étatiques ou centralisées ont souvent fait la preuve de leur incapacité à suivre avec une flexibilité et une réactivité suffisante l’innovation nécessaire à cette course permanente à la productivité.

-Ce mode de production est majoritairement de nature capitaliste car il a nécessité d’accumuler des capitaux pour avoir les moyens nécessaires à exister sur le marché. Ce capital accumulé est souvent privé, mais parfois aussi d’origine publique, financé par les impôts d’Etat.

Ce marché mondial concurrentiel est particulièrement difficile: On ne valorise pas des capitaux sans un travail considérable : d’une part il faut produire des biens pour des clients solvables et convaincus, d’autre part la marge entre les prix de ventes et les coûts de production n’est jamais acquise, car les conditions changent : un pays décide de s’ouvrir au libre échange et offre une main d’½uvre 40 fois moins cher (La Chine), une innovation technologique rend caduc un « process » de production ou le produit lui-même (la photo argentique détrônée par le numérique).

Le moteur principal de cette machine à produire est la concurrence  et le marché. La concurrence développe des orgueils nationaux ou locaux et des stimulations qui parfois déplacent des montagnes. Le marché donne une prime de réussite (une part de marché) à celui qui offre le meilleur rapport qualité/prix.





De quelle manière la nature majoritairement capitaliste de la production de ces biens influe-t-elle sur leur organisation ?

L’économie de marché ne permet pas à une entreprise de produire durablement plus cher que son concurrent, et ceci quel que soit le mode de propriété de l’entreprise : privée, mutualiste, coopérative ou d’Etat. Lorsque Bouygues baisse ses coûts de production du service « mobile », France Télécom, que son capital soit privé ou public, qu’il prélève beaucoup ou peu de profit, est obligé de suivre. C’est une conséquence de l’économie concurrentielle de marché, ce n’est pas une conséquence spécifique de l’économie capitaliste privée.

Nous avons tendance à mettre dans un même sac: marché, concurrence et économie capitaliste. Or, si l’intérêt du capitalisme est d’organiser le monde en une sphère marchande unique, la concurrence des économies à bas coût de main d’½uvre est historiquement bien antérieure au développement du capitalisme. Cette concurrence existe depuis qu’il existe des échanges mondiaux. Cependant, la nature capitaliste de ce libre échange n’est pas neutre. Je voudrais souligner par un exemple en quoi la pression du capital renforce ou transforme les décisions de gestion, et ce d’autant plus que le mode de production nécessite de capitaux.


La ville où je vis est la capitale des assurances mutualistes. (Niort). Quelle différence entre une assurance mutualiste et une assurance privée ?

La première ne rémunère pas les capitaux de ses adhérents, tandis que la seconde doit le faire pour ses actionnaires. Comme par nature le métier de l’assurance est capitalistique (il réclame une masse importante de capitaux accumulés pour faire face aux sinistres), ce mode d’organisation a permis aux mutuelles non capitalistes de prospérer avec des coûts plus faibles (pas ou peu de rémunération du capital) et donc d’offrir des tarifs biens placés, tout en rémunérant très confortablement tous ses salariés. Nous sommes dans le cas très clair où les salariés bénéficient de ce que le capital n’a pas. Toutefois ces même mutuelles disposent de beaucoup d’argent disponible et ont quelquefois envie de jouer, elles aussi, au petit capitaliste : En espérant augmenter la rémunération des capitaux qui leur sont confiés pour les placer sur des marchés de titres un peu plus risqués, mais fort rémunérateurs. C’est ce que certaines ont fait outre atlantique ces dernières années avec des conséquences financières désastreuses consécutives à la chute des cours de la bourse. Il leur faudra encore quelques années pour à nouveau restaurer complètement l’avantage mutualiste pour ses salariés ou adhérents...


Ainsi la pression pour la rémunération du capital, n’est pas uniforme ; elle dépend du mode d’organisation et de collecte de ces capitaux ; elle dépend aussi des comportements de leurs gestionnaires. Cette différenciation dans la valorisation des capitaux n’est pas nouvelle et distingue encore aujourd’hui différents acteurs : ainsi les artisans ou petits entrepreneurs dont le capital est souvent familial, ne réagissent pas comme les gérants de portefeuille, des banques ou les gros actionnaires.

Chez les premiers, beaucoup plus souvent qu’on ne le pense, la rentabilité des capitaux est absente de leur logique de fonctionnement. J’ai par mon métier rencontré beaucoup de gens qui rentabilisaient objectivement leurs capitaux à un taux inférieur à celui de la caisse d’épargne et qui dans des situations de marché difficiles, raisonnaient d’abord pour leur personnel, le maintien de la production ou leur image de marque.


Les seconds ne tolèrent pas une moindre baisse du rendement de leurs capitaux, et dès que celui-ci fléchit, ces gérants prennent des mesures immédiates : vente, fermeture, délocalisation, tout ce qui pourrait restaurer ces rendements.


Comme de nombreux observateurs l’ont noté, l’évolution des sociétés privées a renforcé les séparations entre le possesseur des capitaux (organismes financiers, banques d’affaires) et les dirigeants opérationnels des sociétés industrielles ou de services. Les premiers sont mandatés pour examiner les rendements des capitaux et faire les arbitrages au vu de ce seul critère, les seconds sont chargés de mettre en musique ces choix. : investissements, gestion des hommes, politiques d’achats. Alors que les seconds pourraient admettre pour des raisons techniques ou humaines (le temps nécessaire à l’adaptation !), la nécessité de périodes de moindre valorisation des capitaux, les premiers les tolèrent peu. Nous sommes à un stade de développement du capitalisme mondial particulièrement aigu où le capital, de plus en plus fluide et concentré, échappe de moins en moins à une demande de valorisation permanente. Les responsables sont cachés, anonymes, instrumentalisés ; ils obéissent à une logique aveugle de rendement du capital dont l’application est perçue comme une mécanique universelle normale, alors qu’elle est porteuse d’une pression considérable sur les hommes.



Résumons : dans le domaine des biens et services marchands, la pression capitaliste est variable selon les situations et les comportements des acteurs, mais la tendance est à un renforcement général au fur et à mesure de l’internationalisation de la valorisation du capital. Si l’organisation capitalisme n’explique pas à elle seule les délocalisations ou la pression des dominants sur les dominés, elle les renforce, voire les perpétue. Toutes les classes sociales se trouvent prises dans cette logique de valorisation des capitaux, parfois de façon affichée (certains propriétaires) mais aussi de façon plus ou moins consciente (les règles du jeu du système pour les gestionnaires).

Le niveau de rendement de ce capital va jouer un rôle important dans le fonctionnement de l’économie capitaliste, ce que nous allons mieux comprendre et peut-être nuancer dans le paragraphe suivant.

























C le c½ur du capitalisme :

la rémunération permanente de capitaux accumulés




Nous avons pointé du doigt la pression extrême de la rémunération du capital dans l’organisation économique mondiale, et parfois dans la destruction de l’espace de vie des hommes

Le fauteur de trouble serait donc ce capital qui circulant librement viendrait pomper l’énergie des hommes et déstabiliser le développement. Regardons de plus près :



1 La libre circulation des capitaux :


Au niveau micro-économique, la libre capacité de chaque individu ou groupe d’individus d’épargner ou d’emprunter paraît fondamental : il suffit de regarder l’impact des mini épargnes dans la constitution d’une petite entreprise ou l’effet bénéfique des mini prêts dans le commerce en Afrique. Epargner, ne pas consommer tout de suite pour s’organiser pour demain, a toujours été le premier geste du développement.

Dans une économie avec monnaie, épargner c’est accumuler de la monnaie, donc du capital ; de même, prêter c’est donner la possibilité à quelqu'un de construire un projet à partir de capitaux qu‘il n’a pas et de rembourser sur ses résultats (bénéfices ou profits) futurs. Le principe d’une monnaie, disposer d’un avoir de réserve permettant de mobiliser un pouvoir d’achat là où il y a des besoins, apparaît donc essentiel au développement. La libre circulation de celle-ci constitue donc un outil important du développement.


A quel moment cette libre circulation des capitaux revêt-elle des aspects néfastes ? La réponse n’est pas indépendante de deux notions : sa rémunération et son engagement à terme. Examinons d’abord leur terme. Les capitaux s’engagent en effet pour des durées très variables :

1.1 Lorsque l’argent fait un aller et retour spéculatif utilisant une information privilégiée pour faire un profit à court terme, il est clair que non seulement cela ne favorise en rien le développement, mais en plus que le jeu n’est pas gagnant pour tous : il y a des perdants, ce sont les moins informés, les moins puissants. Si les effets de cette circulation aller-retour des capitaux spéculatifs se limitaient à des gains et pertes entre initiés, cela ne serait pas encore très grave, mais les conséquences se répercutent sur les taux de change, les cours de matières premières ou les taux d’intérêt et donc ont des effets immédiats importants sur l’existence de secteurs entiers de l’économie réelle. Les excès constatés en la matière ont d’ailleurs validé nos propositions de taxation des transactions financières.


1.2 Lorsqu’une banque s’engage sur un prêt à long terme pour un particulier ou une entreprise, elle fait confiance dans la capacité de ceux-ci à rembourser c’est à dire à créer de la valeur pour rembourser ce prêt.

L’intermédiation bancaire, la garantie des organismes d’Etat (banques centrales ou d’organisations étatiques type FMI ou banque mondiale) sont porteurs de ce type de développement. Dans la mesure où cette libre circulation des capitaux sur le long terme est bénéfique au développement, l’existence de tels organismes n’est pas à remettre en cause.


1.3 Interrogeons-nous sur un autre lieu d’échange de capitaux : La Bourse, facilement accusée de tous les maux. Là encore il est bon de discerner :

Lorsque celle-ci fait appel à l’épargne individuelle éparpillée pour servir un grand projet : le chemin de fer ou plus récemment le tunnel sous la Manche, il n’y a pas lieu a priori de crier à l’escroquerie ou à un système pernicieux. L’outil est efficace : De grands travaux d’infrastructure ne se seraient pas fait sans des mécanismes de mobilisation de l’épargne. Certains projets réussissent, produisent de la richesse et rémunèrent correctement les petits et gros porteurs, d’autres sont des échecs pour ces mêmes petits porteurs. Il peut certes exister des problèmes de transparence d’information, mais qui ne sont pas propre à la nature boursière de ces projets : au même titre, des entreprises mutualistes ou coopératives ouvrières ou agricoles ont pu manger l’épargne de leurs sociétaires lorsque les projets échouent. L’exercice de la démocratie pose des problèmes du même ordre. La critique de la Bourse est ailleurs.

Celle-ci répond en fait à deux besoins :

- le premier, bénéfique, celui de mobiliser des capitaux pour un projet ; c’est d’ailleurs toujours l’argument cité par les défenseurs de l’économie libérale.

-Le second, moins explicité, et donc moins clair pour le commun des mortels: celui de s’échanger facilement les titres des entreprises. Dans quel but ? Pouvoir vendre et acheter une entreprise (ou une part d’entreprise) comme une simple marchandise. Or une entreprise est un bien complexe : des bâtiments, des machines, des brevets, des marques, des hommes compétents, des forces commerciales etc.. Il n’est donc pas aisé de vendre un tel bien sans avoir trouvé un acheteur pour le tout. La division des sociétés en parts sociales ou en actions échangeables en un lieu, la bourse, permet ainsi de rendre liquide, immédiatement libérable sur un marché, un bien qui par nature ne l’est pas.

Cet échange est-il  souhaitable ? Oui, dans la mesure où il permet des passages de témoins d’une génération à une autre ou de capitalistes ou épargnants en panne de projet à d’autres. Non, lorsque les hommes qui font vivre ces entreprises sont échangés comme des biens marchands, sans considération pour leurs conditions de vie.

Cette contradiction entre un actif complexe qu’est une entreprise et une simple part sociale échangeable comme un meuble, est au c½ur de l’échange boursier ; il illustre à la fois une pression du capitalisme qui voudrait que tout soit liquide et échangeable facilement, et une commodité d’échange, qui n’est pas à priori contestable, pour réaliser des passages de témoin.. Il est donc sain que les Etats, gouvernements et instances mondiales définissent avec précision les limites et les conditions de tels échanges. Ils le font d’ailleurs lorsque des secteurs importants de l’industrie nationale sont en jeu (ALSTOM récemment), montrant ainsi que les plus libéraux d’entre eux ne croient pas au libre échange sans contrainte des capitaux qu’ils peuvent défendre idéologiquement par ailleurs.

Ainsi donc, la bourse, du fait de son utilité dans l’échange de biens de production, tout en étant au c½ur du capitalisme, ne résume pas à elle seule les tares du capitalisme.


Résumons: La circulation des capitaux est bénéfique quand elle est tournée vers l’épargne et le développement à long terme ; elle est beaucoup plus suspecte quand elle alimente  la spéculation de court terme sur tous biens réels ou monétaires, actions ou obligations. On peut même ajouter que l’engagement de ce capital, son terme de valorisation, dépend des visions d’avenir des décideurs ou propriétaires de ces capitaux. Nous n’échappons pas à l’action bénéfique de certains capitalistes privés éclairés, de même qu’il y a eu aussi dans notre histoire des despotes éclairés. En ce qui concerne le libre échange du capital, qui représente en réalité des usines, des machines, le produit accumulé du savoir-faire des hommes, il apparaît sain que les Etats et Gouvernements puissent affirmer que « tout n’est pas à vendre à n’importe qui, et n’importe quand ». Ces décisions ont un caractère politique : définition des règles du jeu, politique de défense ou de protection de certains secteurs (agriculture). Donc oui à la circulation des capitaux, mais avec des règles. Qu’en est-il maintenant de la rémunération de ces capitaux ?




2 La rémunération du capital


Ce thème est un débat à lui seul et de nombreux philosophes ou même religieux ont pris des positions parfois tranchées sur ce sujet. Mais il est au c½ur du problème du capitalisme.

Le débat peut se résumer grossièrement autour de plusieurs questions :

-Est-il légitime de rémunérer le capital ?

-Tous les capitaux doivent–ils être rémunérés de la même façon ?
- Le niveau de rémunération est-il une tare intrinsèque du système ?

Tout d’abord, examinons les trois façons de rémunérer les capitaux  : l’intérêt, le dividende et la plus value.


2.1 - l’intérêt


Il s’agit d’un transfert d’argent des emprunteurs au profit des prêteurs épargnants. Le taux d’intérêt est variable selon les époques et le terme du prêt ou du placement. On a vu récemment (fin des années 1980début des années 1990) des taux d’intérêt à court terme de 12% qui rémunéraient une épargne dormante, et des taux à long terme de 6%. Aujourd’hui on observe des taux « courts » faibles de 2 à 3% et des taux « longs » de 5 à 6% qui paraissent plus logiques d’un point de vue du risque et de la durée de l’engagement.

Dans la mesure où l’épargne est le premier acte du développement, il parait légitime de donner une prime de rémunération à ceux qui épargnent et prêtent leur argent. Il paraît même souhaitable que ces taux soient plus faibles pour le court terme où l’engagement est limité dans le temps et plus importants à long terme : En effet pour le prêteur, l’engagement de non-consommation du revenu est plus durable  et les emprunteurs bénéficient de remboursements étalés sur un délai plus long.

Les effets des taux court terme dépassant les 12% tels que nous les avons vécus il y a quelques années ont été considérables : Ils ont provoqué un prélèvement énorme sur le PIB national au profit du capital dormant, (c’est à cette époque que la part des salaires dans la valeur ajoutée a commencé à baisser), ils ont généré de plus une gigantesque accumulation au profit des possesseurs des capitaux, dont les conséquences comme nous allons le voir se font encore sentir de nos jours. S’il y a un problème à la libre rémunération des capitaux, il est bien ici : il n’est pas souhaitable que l’argent se multiplie sans risque ou effort au profit de ceux qui l’ont déjà accumulé.

Le système bancaire local national ou international joue un rôle important dans ces transferts des prêteurs vers les emprunteurs. Depuis les premières lettres de change des commerçants vénitiens, le système s’est considérablement renforcé. C’est un système qui apparaît aujourd’hui globalement sécurisé et abouti. Néanmoins, il y a lieu de s’interroger : s’il paraît normal de favoriser l’épargne en la rémunérant, ce système justifie-t-il de telles aberrations sur la rémunération de capitaux dormants ? Qui fixe les taux ?

La fixation des taux d’intérêt de court terme obéit aujourd’hui à une logique dite de contrôle de l’inflation, et c’est théoriquement pour limiter celle-ci que les banques centrales ont laissé les taux de court terme s’envoler en arguant que l’argent cher limitait la création monétaire.

Il faudrait plus de temps pour démonter les limites de cette théorie à bien des égards contestable, et qui malheureusement inspire (faute de mieux ?) majoritairement la politique de la banque centrale européenne. Soulignons simplement que le marché de l’argent à court terme est un marché dominé par un monopole: la création monétaire mondiale est contrôlée par l’économie dominante, à savoir les USA avec le dollar ; depuis l’abandon de la convertibilité en 1970, les USA ont la possibilité de créer à leur guise ce qu’il faut de monnaie mondiale pour le développement de la sphère marchande. Les USA sont ainsi le seul pays du monde à ne pas avoir besoin de payer d’intérêt net immédiat pour financer sa création monétaire. Dans une telle situation monopolistique, il n’est pas étonnant que ce marché de l’argent à court terme se régule mal ou dérape périodiquement.


Or le taux d’intérêt a deux conséquences mécaniques sur l’économie :

- d’une part le taux d’intérêt participe à la détermination du partage de la richesse entre ce qui va au travail et ce qui va à la rémunération du capital. Ainsi une bonne part de la pression du capital sur le partage de la richesse est déterminée par une autorité ou des règles du jeu anonymes que l’on ne maîtrise pas !

-d’autre part ce taux bancaire fixe une sorte de norme minimale sur ce qu’il est normal de gagner en accumulant. Un taux d’intérêt court terme à 6% (respectivement de 12%) indique à tout possesseur de capital que son épargne accumulée doit lui rapporter au minimum 6% (respectivement de 12%). Cette norme n’est pas écrite mais imprègne en permanence les comportements de gérants de portefeuille, des conseils d’administration et des managers, comme celui du petit épargnant.

La véritable question est la suivante : Est-il toujours économiquement possible de rémunérer le capital à ce seuil minimum ? Nous allons y revenir.


Disons quelques mots des taux d’intérêt à long terme qui dépendent d’un marché entre des emprunteurs à terme et des épargnants qui placent leur argent à plus long terme (au travers d’obligations par ex). Ces taux sont de nature moins fluctuante que les taux de court terme, mais tout aussi influencés par le marché donc les besoins de l’économie dominante : aujourd’hui les USA. Il existe un lien entre le taux d’intérêt à long terme et le rendement estimé d’un investissement (public ou privé) ; en l’absence de perspectives de développement mondial les taux ont tendance à baisser, et inversement, quand les perspectives de marché ou de profit s’éclaircissent.

De même soulignons d’autres phénomènes qui pourraient paraître techniques ou secondaires, mais qui ne le sont pas. Quand on compare des recettes d’aujourd’hui avec les recettes de demain (dans 5 ou 10 ans), on pratique ce que l’on appelle un taux d’actualisation. Actualiser à 10%, c’est considérer que l’économie est capable de rentabiliser un capital (public ou privé) à 10 % par an ! Le débat actuel sur la prise en compte du taux d’actualisation de la charge des retraites EDF transférées au régime général AGIRC/ARCO est intéressant : aucun des partenaires ne table sur un rendement réel de plus de 2 ou 3%, alors que les capitaux privés eux ont pris l’habitude de se mobiliser pour beaucoup plus !. Il ne s’agit pas d’un simple calcul arithmétique mais une véritable déclaration de perspective de rendement d’un secteur ou d’une économie tout entière.


Cette part de la richesse créée venant rémunérer le capital emprunté peut paraître marginale. En réalité celle-ci n’est pas négligeable :

Au niveau de chaque entité créatrice de valeur ajoutée, l’entreprise, les besoins vont au-delà du simple besoin d’investissement. Les capitaux n’y servent pas seulement à acheter des bâtiments et des machines, mais assurent aussi le financement de l’activité courante de chaque entreprise : apporter l’argent nécessaire pour combler le décalage dans le temps entre les recettes clients et les dépenses(stocks, salaires impôts). Si l’entreprise n’a pas les moyens de financer ce cycle d’activité courante par du capital accumulé précédemment, elle emprunte ; dans des périodes de taux élevés, ces frais financiers totaux peut atteindre pour certaines entreprises 25 % de la valeur ajoutée. Ces entreprises parmi les moins capitalisées en arrivent à travailler exclusivement pour rémunérer les banques. Ainsi Les excès des taux d’intérêt du début des années 90 ont provoqué de nombreuses faillites ainsi qu’une accumulation énorme au profit de ceux qui possédaient le capital (dont les banques) ou ceux qui se faisaient prêter gratuitement leurs capitaux par les fournisseurs (grandes surfaces en particulier).

Par ailleurs, les besoins dépassent le seul cycle de production de l’entreprise : l’argent bancaire sert d’intermédiaire, d’actif d’attente, de récupération et de constatation de profit, entre des opérations d’investissements ou de rachat d’entreprise. Et ce capital en attente se fait aussi rémunérer via les taux d’intérêt bancaires.


Résumons : Les taux d’intérêts ne sont pas seulement des indices de risques ou des cotations pour initiés. Ces taux ont une influence directe et importante, sur la part de la valeur ajoutée, les frais financiers, qui va à la rémunération du capital. Ce capital d’origine bancaire est composé à la fois de capital investi dans la production et de capital en attente d’investissement. L’économie dominante, qui possède la liberté de création monétaire et la maîtrise de sa rémunération, a un pouvoir énorme dans ces régulations. Cela souligne l’importance des règles du jeu et des pouvoirs des institutions comme la Federal Reserve américaine, la banque centrale européenne, le FMI ou la Banque mondiale.

La maîtrise des taux d’intérêts apparaît ainsi un élément essentiel du niveau de rémunération des capitaux. Cependant les intérêts bancaires ne constituent qu’une fraction de la rémunération du capital….




2.2 Le dividende.



Le dividende constitue une partie de la rémunération des actionnaires qui possèdent les entreprises. Celui-ci s’apparente à un intérêt versé par l’entreprise pour rémunérer l’argent que les actionnaires lui ont confié à un moment donné. Décidés chaque année par l’assemblée des actionnaires, ces dividendes sont prélevés sur les bénéfices de l’année ou éventuellement des années passées si les réserves et la trésorerie le permettent. Cette distribution est éminemment variable: elle peut être inexistante durant 20 ou 30 ans pour une PME non cotée en bourse, si l’entrepreneur conserve tous ses bénéfices dans l’entreprise et les utilise pour financer de nouveaux investissements techniques ou commerciaux et croître. Cette distribution peut aussi être régulière chaque année, notamment pour rémunérer des actionnaires extérieurs à la gestion de l’entreprise. La distribution de dividendes réguliers peut aussi être régie par des accords contractuels  qui constituent une sorte de rente.


Pour les sociétés cotées en bourse, on retrouve cette même diversité de distribution. Même si les gestionnaires apprécient le dividende, l’absence de distribution ne signifie pas que les actionnaires ne rémunèrent pas leur capital : En effet tout bénéfice non distribué accroît les fonds propres de la société et donc sa valeur potentielle ou son évaluation, valeur qui pourra se réaliser au moment de l’échange des actions.


C’est l’intérêt et l’avantage de la bourse pour les actionnaires : même si la société ne distribue pas de dividendes, les actionnaires peuvent néanmoins vendre leurs titres, réaliser facilement cette valeur potentielle, et toucher une plus-value qui n’affecte en rien la trésorerie propre de l’entreprise. (Voir ci-après la plus-value).


Le dividende prend des proportions très variables. Des actionnaires peuvent choisir de vider leurs réserves en fonds propres en les distribuant sous forme de dividendes s’ils veulent réorienter le placement de leur capital ou préparer une opération de cession ou de fusion. Au contraire les besoins de distribution peuvent être inexistants quand l’entrepreneur conserve le capital dans l’entreprise sur une ou plusieurs générations. Les pratiques de distribution se révèlent aussi très différentes d’un pays à l’autre. Les comportements des conseils d’administration sont aussi influencés par la fiscalité respective des revenus des personnes ou des sociétés ainsi que par les impositions respectives du bénéfice selon qu’il est réalisé sous forme de « dividende » ou sous l’autre variante qui s’appelle la plus-value.

Ainsi tout étant le plus connu de tous, le dividende n’est pas le seul ni forcément l’élément le plus important de rémunération du capital.



2.3 la plus-value


C’est la marge réalisée entre le prix de vente et le prix l’acquisition d’un actif ou d’une action; c’est le constat d’une valorisation de cet actif. Cette plus value est dite à court terme si l’achat et la revente se réalisent à des moments successifs proches : c’est souvent le cas en bourse où des actionnaires cherchent à acheter des titres dont ils estiment qu’ils vont prendre de la valeur pour les revendre aussitôt que le cours a pris une valeur estimée suffisante.

Cette plus value peut être faite à très long terme. C’est souvent le cas des PME ou des artisans commerçants qui la réalisent au passage de témoin d’une génération : quelquefois après 40 ans de travail. Dans certaines sociétés cotées en bourse, en dehors d’une partie mise sur le marché, il existe fréquemment un noyau dur d’actionnaires qui conservent longtemps leurs titres et à cet égard exercent le pouvoir dans l’entreprise, et des actionnaires anonymes qui cherche la meilleure rémunération avec des objectifs de court terme ou de long terme.

La rémunération de ces capitaux au travers de la plus value est extrêmement variable et dépend des circonstances de la vente :

En bourse,  à court terme les titres peuvent être cotés, donc échangés avec une plus value comme avec une perte de valeur significative. Une simple information louant ou au contraire dénigrant l’entreprise transforme la perception de valeur de celle-ci et conduit à des variations qui peuvent être brutales. A long terme les fondamentaux réels de l’entreprise, ce qu’elle a déjà accumulé dans le passé et sa capacité à générer des bénéfices dans le futur priment. Toutefois, la perception peut en être très fluctuante et présenter avec de variations de grande amplitude: ainsi le titre France Télécom, il y a 2 ans, a connu une dépréciation très forte après une longue période euphorique. Ces écarts peuvent paraître incompréhensibles pour le citoyen moyen, quand il entend qu’en une journée la valorisation d’une entreprise a perdu plusieurs milliards d’euros. Certains journalistes parlent de façon équivoque d’argent parti en fumée ; la réalité est légèrement différente de cette vision : d’abord rappelons que les pertes et les gains n’affectent en rien l’argent qui rentre et sort de l’entreprise. Il ne s’agit que d’échanges entre possesseurs de titres et ne donne aucune indication sur le prix auquel ces actionnaires les ont effectivement achetés. La moins value ou la plus value effective est propre à chacun, et dépend des écarts de cotation entre le moment où l’actionnaire a acheté et celui où il vend. Ensuite il est bon de souligner qu’en bourse ne s’échange chaque jour qu’une fraction infime du capital des sociétés cotées. Ainsi une baisse ou une hausse n’affecte pas tous les actionnaires mais seulement ceux qui vendent ce jour là. Au contraire de l’argent de l’entreprise, l’argent échangé en bourse revêt un caractère est déterminé par des appréciations de valeurs et des anticipations de résultats. Ces effets peuvent être amplifiés par des effets d’entraînement : ainsi l’envolée boursière des années 2000 à 2002 avait un caractère un pu surréaliste, vue par un observateur extérieur. La chute a été rude, pour certains ; mais il y a eu des gagnants, les mieux informés ou initiés qui sont sortis avant la chute des cours de bourse, (et qui étaient rentrés souvent avant la pleine hausse), et des perdants : les moins informés, dont il ne faut pas exclure qu’ils aient été parfois volontairement trompés par des informateurs douteux ou plus initiés.

Dans l’entreprise non cotée, cette valorisation se constate seulement au moment de changements d’actionnaires, donc à des périodes bien précises de la vie de l’entreprise. Les fondamentaux de l’entreprise (ce qui a été accumulé ou sa capacité présente à générer des profits) sont les principaux éléments de valorisation. Mais la plus value dépendra aussi de l’appréciation de l’acheteur : rachat d’un concurrent, d’une part de marché, réalisation d’une synergie avec ses propres affaires.

Ainsi la capacité faire de la plus value dépend d’abord des fondamentaux internes de l’entreprise, corrigée par l’opportunité de la vente. Parlons un peu de ces fondamentaux : le capital accumulé dans les fonds propres est issu du bénéfice passé, la capacité à générer du bénéfice se situe dans le résultat en cours ou récent, le futur est difficile à prévoir car il dépend d’un ensemble des facteurs incertains qui vont contribuer à sortir de la marge bénéficiaire. Au passé, présent ou futur, il s’agit bien d’une marge, solde entre un prix de vente et un coût de fabrication. Ce profit n’est jamais acquis et constate en fait une position de l’entreprise plus ou moins favorable entre clients, fournisseurs, (ces deux derniers étant fortement influencés par l’état de la concurrence), salariés et Etat. Le résultat entre ces derniers se mesure dans le partage de la valeur ajoutée : salaires, impôts et bénéfice.

Comment comprendre que ce bénéfice, constitué d’un solde déterminé par l’extérieur (client/fournisseur), influencé par l’intérieur (les rapports salariaux et les prélèvements de l’état), soit aussi déterminé par les besoins de rémunération du capital ? Il faut se représenter l’entreprise comme une entité perpétuellement en mouvement qui s’adapte en permanence à l’environnement et à des pressions plus ou moins fortes de l’extérieur, dont celle du capital. Cette influence du capital n’a rien d’un solde, car c’est lui qui a le pouvoir final dans l’entreprise, aussi les pressions pour sa rémunération sont dominantes. C’est toute la différence qui existe entre l’entreprise mutualiste, la coopérative, la Pme ou l’entreprise cotée en bourse : les pressions pour faire du résultat sont très différentes.

Ainsi, même si l’entreprise ne distribue pas, les possesseurs de capitaux peuvent réclamer des perspectives d’augmentation du cours de leur action en bourse, et leurs dirigeants jugés sur cette « création de valeur ». Cette valeur est basée sur la capacité de ces entreprises à générer du profit. Ainsi une entreprise qui ne génère que 5% de bénéfice (distribués ou accumulés) sur ses capitaux propres verra son cours chuter. Inversement, une entreprise qui génère chaque année des profits de 15 ou 20 % verra son cours augmenter, (et indépendamment de toute acquisition d’actif physique corporel ou même incorporel par l’entreprise), et en augmentant va générer une demande de profit encore plus grande. (Voir ci-après). Ces objectifs de rentabilité sont dictés aux dirigeants des grandes entreprises soit par le noyau dur d’actionnaire ou simplement par l’environnement économique ambiant.

La pression a eu tendance à augmenter ces dernières années avec les bulles spéculatives qui laissaient entendre qu’il était possible de gagner systématiquement 15 ou 20 % de tout capital investi.

Malgré ces plus-values potentielles considérables (15 % représente un doublement du capital en 4 ans !), la réalité sur le long terme est beaucoup plus modeste : Sur les 40 dernières années, la valeur moyenne d’un panier d’actions n’a pas augmenté de plus de 3à 4% par an (hors inflation). Ceci constitue un paradoxe mais s’explique par le fait que régulièrement on observe des faillites ou des effondrements de cours de bourse qui viennent diminuer la rémunération moyenne à long terme. Pression pour des rendements élevés à court terme et constat de rendements moyens modestes à long terme ne sont donc pas contradictoires mais deux manifestations de cette course à la plus value. Chez les actionnaires aussi, il y a des gagnants et des perdants !


Résumons : Dans les deux cas précédents (dividendes ou plus-value), l’origine de la rémunération du capital des actionnaires provient du profit ou marge bénéficiaire générés par les sociétés, après paiement des frais financiers. Ce profit rémunère tout de suite le capital s’il est distribué sous forme de dividendes ; il le rémunère ultérieurement s’il est conservé dans l’entreprise, (accumulé ou réinvesti) ; dans ce cas, il vient renforcer les fonds propres et donc la valorisation potentielle de la société lorsqu’elle sera vendue. L’importance de ce profit accumulé influe sur la valeur du titre et lorsqu’il existe un marché de ces titres (bourse) ; cette plus value peut être réalisée immédiatement, même s’il n’y a pas de distribution de dividendes. Ce marché secondaire des titres d’une entreprise constitue un mécanisme central du capitalisme. Le niveau de rémunération effectif du capital est très variable et dépend beaucoup des accidents des entreprises : on observe une pression sur le profit global généré par les entreprises à des niveaux de l’ordre de 15% à 20%, donc un niveau beaucoup plus important que la moyenne de rémunération du capital bancaire précédemment abordé. Mais paradoxalement sur le long terme la valorisation moyenne des actions ne paraît pas dépasser le rythme de 3à 4% par an.



3 Accumulation individuelle et collective. .


Nous venons de voir que la rémunération du capital prend deux grandes voies, la voie bancaire (rémunération d’épargnants ou de créateur de monnaie) ou la voie de l’actionnaire (bénéfices distribués ou conservés).

Mais l’usage de ce profit emprunte aussi plusieurs chemins :


Il nous faut distinguer deux types d’usages de ce profit: soit la consommation, soit l’accumulation. Les conséquences sont totalement opposées du point de vue du fonctionnement capitaliste.


Lorsque le possédant capitaliste utilise son profit ou sa rente pour consommer des biens ou pour mettre à sa disposition de nombreux services : employés de maison, mais aussi tous services de luxe : traiteurs, chauffeurs, gestionnaire de yacht, pilote privé etc.…, il dépense. Lorsqu’il place son argent dans l’économie pour investir ou lorsqu’il conserve son argent sous forme d’actifs financiers liquides, il accumule. Les conséquences macroéconomiques vont se révéler très différentes:

Attention, le propos n’est pas ici de porter un jugement « moral » sur la répartition du revenu, et de justifier que le milliardaire discret ou un représentant de la jet-set dépense en moyenne 4000 ¤ par jour quand les bas revenus en dépensent moins de 40, mais de bien faire sentir où se situe la mécanique propre de l’économie capitaliste, (les consommations luxueuses reflètent des inégalités sociales dont une partie est la conséquence du capitalisme, mais qui paradoxalement ne constituent pas le c½ur du phénomène capitaliste !)

La dépense du profit va avoir un effet économique immédiat sur certains secteur d’activité : les biens de luxe, des services, des voyages, mais sans rémanence à plus long terme sur le reste de l’économie.

En revanche, si le profit s’épargne et s’accumule, il va grossir la masse de capital en circulation qui va chercher à se faire rémunérer au mieux : ce peut être placement dans l’immobilier, en actions, en obligations, en fonds divers … partout où il est possible de faire de l’argent ! La conséquence va être très différente pour l’économie.. Cela ressemble à un calcul d’intérêt composé : A partir d’un capital de 100, je retire un profit de 12, l’année suivante je cherche à faire rémunérer cet argent accumulé augmenté de son profit, en l’occurrence 112 ; je vais donc chercher une rémunération au moins équivalente (soit 12% de mon capital de 112, soit 13,4 au lieu de 12 précédemment), et ainsi de suite : 15 l’année suivante, puis 17,4 celle d’après etc. L’argent va à l’argent, constate l’adage populaire ! Comment fait-il ? Où prélever ces sommes dont les besoins croissent de façon exponentielle ? Précisément en prélevant sur la richesse créée, la valeur ajoutée des entreprises, dans l’économie, avec les moyens disponibles à savoir les taux d’intérêts, le dividende ou la plus value.


Ainsi, plus les possédants accumulent sans consommer, plus il existe une masse de capitaux cherchant à se valoriser, plus il faudra prélever une marge ou un profit croissant dans l’économie. Cette demande de rémunération du capital est mécaniquement en croissance exponentielle.

Si la masse de la production de biens s’accroît au même rythme que les capitaux s’accumulent, les besoins de prélèvement du capital dans cette production vont rester stables, en % ou valeur relative. En revanche si pour des raisons diverses, ( pénuries de matières premières, limite à la sphère marchande ou simplement une économie globalement en manque de projets d’avenir), la croissance n’est pas au rendez-vous, la production ne pouvant croître aussi vite que le capital accumulé, il va falloir augmenter le prélèvement relatif du capital et donc en laisser moins au travail (ou à l’Etat). Les possédants et gestionnaires de capitaux vont donc essayer d’augmenter la part prélevée sur la valeur ajoutée, d’où une pression sur les achats et les salaires.

Première conséquence, et pas des moindres. Une pression sur les salaires ou sur les achats va ralentir la demande des biens de consommations et donc l’activité de l’économie, qui va ensuite provoquer un ralentissement de l’investissement, donc des biens d’équipement. . et une crise générale d’insuffisance de la demande.

Deuxième conséquence : si les résistances au prélèvement sont trop fortes, l’impossibilité de prélever plus va générer une baisse des actifs boursiers ou d’actifs de réserve comme l’immobilier, et des vagues successives de dévalorisation des capitaux.

Ainsi, l’accumulation du capital et sa valorisation induisent des déséquilibres structurels permanents : d’un côté un moteur avec une mécanique aveugle : un taux de rendement et d ‘accumulation, de l’autre des possibilités de valorisation qui se confrontent régulièrement à la réalité : est-il possible de créer une richesse permanente et croissante au rythme de l’accumulation précédente ?


Ainsi, indépendamment de tout jugement sur le niveau de profit prélevé sur l’économie pour la rémunération du capital, le fait même d’accumuler une marge donnée et de chercher à valoriser ce capital accumulé génère une pression croissante sur l’économie : une demande plus grande de profit et des déséquilibres potentiels qui ne peuvent être résolus que par un taux de croissance au moins égal au taux d’accumulation.

Cette mécanique est en fait un peu plus complexe et moins mécanique qu’un simple calcul d’intérêt cumulé : comme on le soulignait précédemment, chercher à prélever un profit croissant n’est pas toujours aisé ou même possible. La résistance peut exister du côté des coûts de production (salaires, achats) mais aussi du côté des prix de ventes. La manifestation de ces déséquilibres est différente selon les périodes : Ainsi dans les années 70, pour maintenir la rémunération des capitaux les entreprises ont augmenté leurs prix provoquant de l’inflation, ainsi qu’une course prix/ salaire. Elles ont pu le faire car la contrainte extérieure était plus faible (concurrence mondiale moins présente et dévaluation ). Cette solution n’est plus possible de nos jours car l’ouverture des marchés mondiaux est plus grande et la concurrence plus vive. Que peuvent faire les entreprises ? Soit elles meurent, (avec pour conséquence des destructions d’emploi et de capital), soit elles délocalisent s’il y a une possibilité de produire moins cher ailleurs. Nous sommes dans une période de ce type en Europe.

On observe également des phénomènes de prélèvement ou de destruction de capital accumulé : Les prélèvements se font à partir de l’impôt sur les bénéfices (distribués ou non) et sur la transmission du capital (succession, droit de mutation). Ceci a pour effet de diminuer le capital à valoriser. Les accidents boursiers ou les crises immobilières ont pour effet d’assainir régulièrement des suraccumulations trop fortes. Ainsi s’expliquent les contradictions apparentes entre des demandes de rentabilité de 15 à 20%, qui se traduisent après destruction de capital par un rendement moyen à long terme des actions de 3ou 4% par an.

Nous avons aussi souligné qu’il existe un secteur épargné ou moins affecté par cette loi de rentabilité du capital: tous les acteurs ne recherchent pas en permanence du profit en rapport avec leurs capitaux propres: les coopératives, les mutuelles, l’Etat lui-même, mais aussi petits entrepreneurs (ces derniers soit parce qu’ils fonctionnent différemment soit parce qu’ils n’ont pas le pouvoir de desserrer l’étreinte prix de vente/ prix d’achat, salaires ou impôts).




  1. L’accumulation  productive: moteur du développement



L’appétit de rendement du capital génère donc une accumulation permanente. Il serait tentant à ce stade d’analyse de conclure que nous avons découvert le véritable responsable des méfaits du capitalisme : l’accumulation. La réalité n’est pas aussi simple.

C’est grâce à l’accumulation des générations passées, en équipements, en industrialisation, en savoir-faire, en technologie, que nous avons atteint aujourd’hui un développement des forces productives. C’est l’accumulation de ces machines, techniques et savoirs qui nous permettent dans de nombreux pays développés de manger à notre faim, de ne plus craindre l’hiver, de vivre dans des maisons confortables, de se déplacer aisément et d’avoir accès à des temps de loisirs importants, etc. Ainsi lorsque le profit dégagé est utilisé pour créer, améliorer, satisfaire des besoins utiles aux hommes, il est bénéfique à tous. La logique capitaliste qui conduit à cette accumulation est alors bénéfique au développement.

C’est d’ailleurs grâce au dynamisme des entrepreneurs (publics et privés), que nous disposons en moyenne d’un confort et de biens ou services sans commune mesure avec ceux disponibles il y a 50 ans. Il a fallu beaucoup réfléchir et investir pour disposer des services de moins en moins coûteux (en équivalent temps de travail ) comme nos machines à laver, nos voitures, nos lecteurs de CD ou DVD ou nos téléphones portables. Dans la mesure où ceci est mis à la disposition d’un plus grand nombre, cette mécanique d’accumulation est objectivement bénéfique.

Dans l’analyse du paragraphe précédent, nous avons mis dans la même boite appelée « l’accumulation » deux pratiques en fait de nature différente :

-d’un côté l’investissement en machine, le développement de technologies, les infrastructures, de l’accumulation utilisée pour générer de la production de richesse.

-de l’autre des actifs de transition (actions, titres monétaires, marchés spéculatifs multiples et de plus en plus nombreux, mais aussi marché d’art ou immobilier pour une part de celui-ci) en attente d’une valorisation mais pas investis immédiatement et directement dans la production de richesses. Ces titres boursiers ou monétaires ne produisent généralement aucun flux financier direct dans l’entreprise, (sauf dans deux cas les souscriptions pour augmentation de capital ou la création d’un titre obligataire qui créent un flux vers le financement de l’entreprise ou de l’Etat).

Dans le premier cas, on génère de la production et on accroît la richesse produite, donc la possibilité de mieux répartir cette valeur ajoutée produite entre capital et travail. De ce fait on repousse aussi la contradiction précédente du capital accumulé en lui donnant de meilleures perspectives de valorisation réelle, repoussant donc les crises possibles : récession, crise boursière, crise de la demande etc.

Dans l’autre cas, le capital accumulé vient grossir une masse de capital en demande de valorisation mais sans effet sur la valeur créée. D’où des phénomènes de spéculation boursière ou immobilière. A cet égard, l’augmentation considérable des prix de l’immobilier et des loyers observés dans les villes doit être considérée comme une conséquence de ce phénomène et non un seul déséquilibre offre/demande examiné de façon statique. Ne pouvant s’investir avec suffisamment de rémunération dans la sphère productive, refroidis par l’expérience de la bourse qui les a trompés, après les avoir attirés, un certain nombre d’épargnants et de gestionnaires dirigent leurs capitaux vers l’immobilier et réclament une rémunération en rapport avec le capital investi (et au minimum 5 à 7%), d’où une augmentation des loyers et une difficulté de plus en plus grande à acheter par soi-même un logement avec un revenu salarial moyen.

A cet égard, nous observons depuis quelques temps des comportements nouveaux et significatifs : les grosses entreprises sont actuellement tellement riches en liquidités qu’elles en arrivent à racheter leurs propres actions, soit en bourse soit à des minoritaires. Plutôt que de laisser apparaître une trésorerie inutilisée, ils préfèrent diminuer le nombre d’actionnaires et réduire leurs fons propres. Que signifie ce phénomène ? Tout simplement que le capitalisme est actuellement en panne de projets et plutôt que d’investir dans des projets moins rentables (5% au lieu de 10 ou 15%) ou de distribuer sans savoir ou réinvestir ces dividendes, ils préfèrent diminuer le nombre d’actionnaires en gonflant ainsi la valeur unitaire de leurs titres et les plus values potentielles à terme sur un nombre d’actionnaires réduits. On est ici très loin du cercle vertueux de l’accumulation porteuse de richesse pour tous.


Prenons un autre exemple a contrario : Que l’entreprise MICROSOFT ait accumulé du capital durant sa croissance un capital fantastique n’a rien de critiquable en soi dans la mesure où il y a eu un véritable service : Leurs idées d’avant-garde (industrialisation du logiciel de masse attaché à l’ordinateur individuel ) ont fourni et continuent à fournir des moyens de création, de calcul, de communication, incomparablement puissants qui ont accru la productivité du travail de milliards d’individus, et ont facilité les communications entre les personnes à un degré impensable il y a 15 ans. La critique est ailleurs…


Résumons : Ce qui pose problème dans le capitalisme n’est pas l’accumulation en soi : si le profit est utilisé pour à nouveau créer et produire des besoins utiles aux hommes, il est bénéfique et productif. Sinon il alimente la sphère spéculative ou la demande de monnaie d’attente qui réclame rémunération donc prélèvement sur la valeur ajoutée.

Le problème n’est pas non plus l’existence d’une certaine mobilité des capitaux. En effet le mécanisme qui consiste à distribuer le profit dégagé dans un secteur moins porteur ou dont le marché est saturé, et le réinvestir dans d’autres secteurs, (les énergies nouvelles par ex) paraît fondamentalement bénéfique.

Les tares du capitalisme sont principalement ailleurs …:




5 Le rendement du capital a ses normes



Reprenons le cas de Microsoft, et examinons les conséquences d’un certain mode d’accumulation :

La masse de capital qui a été accumulé par l’entreprise Microsoft ainsi que celui que la bourse lui a confié et crée une demande de profit pour rémunérer le capital de façon bien plus importante qu’aux débuts de Microsoft. Certes le chiffre d’affaire a augmenté, mais plutôt moins vite que sa capitalisation. Cette rémunération constitue donc un frein à la diminution du coût du logiciel (voir le renchérit ), alors que les coûts unitaires de développement continuent à décroître avec la croissance régulière de ses ventes. (Cette contrainte de la bourse est d’ailleurs utilisée par Microsoft pour justifier ses prix.)

La prééminence de Microsoft sur le marché est en train de créer une situation de monopole sur les licences d’exploitation des PC ; nous ne sommes plus dans une situation de concurrence, et les moyens juridiques de contrebalancer l’excès de pouvoir (abus de situation dominante ) se révèlent bien faibles. Ce monopole explique à la fois la résistance à la baisse des prix, et donc l’importance du profit de l’entreprise et de sa valorisation boursière, qui elle-même est un frein à la baisse des prix à cause de la valorisation du capital que les actionnaires attendent. Ainsi l’accumulation crée mécaniquement des concentrations de pouvoirs et des situations de non concurrence que les règles anti trust ont du mal à gérer.

Enfin, il existe une autre conséquence indirecte à cette formidable accumulation et rentabilité de Microsoft : la rentabilité dégagée par ce secteur crée une sorte de référence, une norme de rendement du capital pour le monde entier que chaque gestionnaire de capitaux cherche à égaler. Les secteurs les plus rentables obligent les autres à s’aligner sous peine de désintéresser les actionnaires. Ceci crée une pression de rémunération du capital de tous les autres secteurs, même si ceux-ci sont dans des phases de développement technologique plus lent ou sur des marchés moins porteurs ; seuls y échappent les entreprises individuelles ou des PME ou des mutuelles qui ont délibérément choisi une moindre valorisation du capital et une accumulation plus lente.


Ainsi, dans une phase de développement bien particulière (la révolution des nouvelles technologies de l’information), l’épargnant, le gestionnaire de capitaux et les conseils d’administration des entreprises, tous ont intégré que des objectifs de rentabilité de l’ordre de 15 ou 20% des capitaux investis étaient « normaux ». Or ce n’est pas possible au niveau de la globalité d’une économie. Hormis dans certains secteurs de pointe, qui provoquent des ruptures technologiques transposables dans les activités de production de masse ou à certaines périodes de reconstruction après des guerres, aucune économie humaine n’est capable de générer durablement des rendements globaux de 20% par an.

Pourquoi  cette limite? La réponse est difficile, car tout dépend des périodes, des sauts technologiques, de la division internationale du travail, de la culture des peuples concernés. Un tel taux de rendement représente au niveau d’une économie l’excédent de production non consommée après amortissement des actifs, rapporté aux moyens de production et de savoir-faire qui ont été rassemblés (accumulés) pour cette production. Le calcul pose des problèmes méthodologiques ardus car  tout ce qui n’est pas marchand est difficile à évaluer en capital accumulé ou bénéfice constaté. Le calcul ne peut d’ailleurs être effectué qu’à posteriori. Cependant toutes les approches faites par des économistes pour essayer de mesurer un taux de rendement interne d’une économie aboutissent à des rendements réels moyens de l’ordre de 3 à 5% par an hors inflation sur moyenne période. Ce chiffre se rapproche des valorisations boursières sur le long terme, en tenant compte des phases de récession ou de crises. Alors pourquoi créer une accumulation plus rapide que ce que l’économie d’une zone géographique peut donner ? Nous touchons un des problèmes du capitalisme.


Les taux bancaires sont rémunérés plus faiblement: 4 à 7% actuellement, soit 2 à 5 % hors inflation. Leur taux constitue en quelque sorte une rémunération de base du capital ; en revanche cette masse de capital bancaire a tendance à croître beaucoup plus vite que la production marchande ou que l’investissement ; aussi son poids relatif sur l’économie doit-il être pondéré par le poids des capitaux circulants dans la production. Toutes les études font état d’un capital circulant croissant à un rythme beaucoup plus élevé que le PIB. Il n’est donc pas étonnant que une rémunération même « de base » via l’intérêt accroisse le prélèvement sur l’économie mondiale pour rémunérer le capital.


La rémunération du capital se révèle ainsi composée de taux, différents selon les flux, mais normalisés : 15 à 20% au c½ur des capitaux des actionnaires boursiers dominants, 4 à 7% pour le capital circulant non encore réinvesti dans la production, de l’ordre de 2% ou moins dans les secteurs moins capitalistiques : certaines PME, des coopératives ou l’Etat. Les deux premiers flux, en prenant de plus en plus d’importance, génèrent une pression croissante sur l’économie qui peine à satisfaire le besoin de rendement du capital accumulé, donc cherche des valorisations plus lointaines qui bouleversent le rythme des nouveaux secteurs qu’ils investissent et de ceux qu’ils quittent.

L’analyse faite par les experts sur le rendement des capitaux américains est éclairante : il y est montré que le rendement des capitaux américains placés à l’étranger est structurellement supérieur à ceux du reste du monde placé aux USA. Cela paraît surprenant mais s’explique par la position dominante de ce pays qui a la capacité à générer une monnaie mondiale gratuite (à taux d’intérêt nul) du moins à l’émission. Ce taux n’est certes plus nul, lorsque la Chine et le Japon financent en retour sur leur épargne les déficits américains, mais demeure bien inférieur au taux de rendement que les USA obtiennent en moyenne pour leurs capitaux placés dans le monde entier.

La monnaie est le passage obligé tous ces flux, donc le véhicule de toutes les rémunérations et accumulations. Toute plus value, tout dividende ou intérêt a besoin de cet instrument pour se valoriser à un moment donné. Ainsi, l’économie capitaliste accorde le droit à tout possesseur de capitaux de prélever de façon permanente sa dîme sur le reste de l’économie selon les normes en vigueur. Et l’idéologie capitaliste mondiale prétend que cette règle doit s’appliquer partout à toute la sphère productive mondiale. Nous avons déjà souligné que non seulement ce n’est pas toujours justifié, mais que c’est même dangereux: exploitation des hommes ou de la nature (pollution de l’air et de l’eau) ou de limite des ressources naturelles non renouvelables.


Résumons : Le capital une fois accumulé cherche à se valoriser. Il n’a que deux solutions : soit prélever une part de plus en plus importante de la valeur ajoutée créée (au risque de tarir les revenus des actifs et leur consommation, d’où des crises périodiques, soit pousser à l’extension de la sphère marchande afin que celle-ci croisse au moins au même rythme que l’accumulation des capitaux à valoriser. C’est ainsi que le capitalisme a absolument besoin de croissance des échanges marchands, même si ceux-ci ne se traduisent pas toujours par du développement humain. Il pousse à faire tourner la machine à son rythme : valorisation et accumulation. Si le rythme de croissance de cette économie marchande ne se révèle pas en accord avec le besoin de rendement du capital accumulé, il exerce des pressions parfois insupportables sur les facteurs de production, c’est à dire sur la rémunération du travail de milliards d’individus.

La croissance marchande se révèle périodiquement trop lente pour le capital accumulé, sauf si ce dernier est neutralisé par des évènements particuliers: on observe deux grands types de neutralisation du capital :

- la destruction brusque : crise boursière ou monétaire, guerre.

- la neutralisation:  prélèvement d’impôts par l’état, possession peu capitaliste de type SCOP, mutuelle, coopérative ou certaines PME.

Le capitalisme a ses normes de rendement : 15 à 20% pour les capitaux les plus proches du pouvoir, moins pour la périphérie et pour le capital bancaire. Ces normes ne sont pas toujours compatibles avec le développement de l’économie productive, qui dépend du rythme de travail des hommes, de leur découvertes, de leur motivation, et de leur culture. La contradiction se résout par l’accumulation monétaire, passage obligé de toute valorisation, et aussi capital d’attente entre des investissements productifs. La monnaie mondiale de réserve a donc un rôle central, et son coût constitue une sorte de norme de valorisation minimum du capital en transition.

Nous sommes bien au c½ur du capitalisme.

















D Des orientations et des suggestions…



1 Réponses à nos trois questions


A partir de ces constats, nous pouvons essayer de répondre à nos questions initiales :


1 Doit-on considérer le libre-échange comme fondamentalement indissociable du capitalisme, et donc attaquer l’un et l’autre sans discernement ?


La réponse est négative : Toute l’analyse précédente met en évidence l’existence de deux phénomènes bien distincts : l’échange de marchandises plus ou moins libre selon le secteur (biens agricoles ou ressources minières), échange qui a d’ailleurs existé antérieurement au capitalisme, et une mécanique de rendement du capital qui vient se greffer sur ce libre échange: cette pression capitalistique sur l’échange se révèle inégalement présente selon les secteurs (mais très forte dans les biens industriels transformés) ou selon le mode de possession des biens (la propriété mutualiste ou coopérative pèse moins que le privé).

Nous avons souligné que la rémunération du capital n'est pas seulement un phénomène marginal dans un prix de revient mais se situe au c½ur du système capitaliste. La valorisation permanente du capital crée des inégalités et des concentrations de pouvoir qui, bien qu’anonymes, n’en déterminent pas moins de façon très efficace et contraignante l’organisation de la vie du paysan chinois comme du métallo américain. Nous avons approché les effets bénéfiques de cette accumulation dans la mobilisation des forces productives, et plus particulièrement à certaines époques et son caractère totalement inhumain quand les mêmes principes d’accumulation conduisent à un prélèvement de la richesse qui ne respecte pas le rythme d’évolution des hommes, de leur environnement de vie ou gaspille à toute vitesse les ressources rares de la planète : air/eau.

Ces remarques critiques sur le capitalisme ne constituent pas un plaidoyer sans examen en faveur d’un libre échange généralisé ; en effet si ce dernier possède des vertus politiques et culturelles, il n’est pas souhaitable de le généraliser pour toutes les marchandises, tous les niveaux de développement ou toutes les zones d’échanges marchands, sans examen politique, notamment en vue de préserver une indépendance alimentaire ou vitale, d’une région, d’un pays.

Ce sont précisément les gros possesseurs de richesses et de capitaux qui nous enferment dans cette dichotomie du tout ou rien: le marché indissociable du capitalisme, et véhiculent cette idéologie dominante,  cette « pensée unique », Il paraît important de ne pas se tromper de cible.



2 Les méfaits du capitalisme sont-ils le résultat d’un rapport de force défavorable à un moment donné, méfaits qui se trouveraient neutralisés lorsque le rapport capital/travail est plus favorable à ce dernier ?

L’objet ne serait pas de remettre en cause le capitalisme en tant que tel, organisation économique efficace, mais d’élaborer des règles strictes, de mettre en place des contrepouvoirs forts  ou une régulation supranationale s’imposant à chacun.

La réponse à cette question est également négative. Nous avons vu en détail que le capitalisme comportait des règles internes propres : la rentabilité généralisée et normée du capital, qui accentue mécaniquement la pression sur le partage de la valeur ajoutée, les inégalités, l’exploitation, l’échange inégal, l’extension sans limite de la sphère marchande qui rétrécie nos vies. De plus le système est instable et génère régulièrement des crises de demande ou de dévalorisation du capital.

Certes les rapports de force, les luttes sociales constituent un frein à sa logique de valorisation, mais ces freins ne mettent pas fondamentalement en cause la mécanique d’accumulation /rendement.

La valorisation du capital est comme un torrent dont la vitesse est déterminée par les normes de rendement et d’accumulation. Ce torrent bute parfois sur des rochers, au point même de s’en trouver détourné ou ralenti, mais finit toujours par passer et retrouver son débit initial.

Ainsi l’enjeu n’est pas seulement de réguler la vitesse du torrent pour l’adapter aux possibilités et besoins des hommes, ni d’aménager des canaux de dérivation plus lents pour assagir le cours. L‘enjeu est plus fondamental : devons-nous accepter une mécanique - le capitalisme mondial- qui oblige tous les hommes de la planète à se jeter dans le même torrent ?


3 Y a t il un espace pour une organisation économique qui conserve les forces ou avantages du libre–échange et combattent ou neutralisent les méfaits du capitalisme ?

.

Oui à cette troisième question:

D’une part tout échange marchand n’est pas automatiquement soumis à la loi capitaliste. L’histoire l’a montré dans le passé ; et aujourd’hui il existe des zones qui échappent à cette spirale rendement/ accumulation/ rendement, malgré la mondialisation du capital. Les coopératives, les mutuelles, les SCOP font en général partie de cette catégorie, mais aussi un nombre d’entreprises beaucoup plus important qu’on ne le croie dans la sphère des PME ou de l’artisanat.

Combattre les méfaits du capitalisme, c’est identifier les racines de ces maux. Nous l’avons vu ; le principe de l’accumulation en elle –même n’est pas en cause : cette accumulation a été et demeure porteuse de forts gains de productivité et donc de la création de richesse pour tous. Les tares du capitalisme se situent dans les phénomènes suivants :

- Une accumulation de capital qui cherche à prélever de l’argent même en l’absence de richesse créée.

- La constitution d’un capital accumulé, sans projet de développement.

- Le refus de s’investir dans des projets de développement dont la rentabilité est insuffisante, soit parce que le retour est aléatoire, soit qu’il ne débouche pas sur un échange marchand, soit parce que le retour est de l’ordre de 25 ou 30 ans, soit une rentabilité de moins de 3 % inacceptable par la norme de ce système.

- La pression pour accroître la vitesse d’extension de la sphère marchande au rythme du capital accumulé, alors que des économies plus sages peuvent choisir de la modérer ou de la limiter quand les effets secondaires et non supportés par les émetteurs sont indésirables pour la collectivité : par exemple : les transports individuels polluants, bruyants ou consommateurs d’espace commun, les échanges générateurs de transports nuisibles etc..


Conserver les avantages du libre échange, c’est reconnaître les valeurs de liberté humaine logée dans l’échange, sans imaginer que le marché apporte la solution à tous nos problèmes. En effet des échanges inégaux, le pillage des ressources naturelles ou l’exploitation de l’homme par l’homme, existent aussi dans d’autres économies centralisées de type communiste ou socialiste, dans des économies de troc, comme ils peuvent aussi exister dans des échanges libéraux qui seraient à l’abri d’une pression de rémunération du capital. La question se pose plutôt ainsi : dans la mesure où le marché n’est pas la panacée, les avantages du libre échange évoqués rapidement au début de ce texte valent-ils la peine de défendre un échange marchand non capitaliste ?

Approfondissons ce que nous aimerions conserver dans le libre échange: Le libre échange offre au consommateur ou acheteur la possibilité de choisir librement entre plusieurs produits celui qui lui convient le mieux ; il s’agit véritablement d’un vote démocratique quotidien ; ne pas se laisser imposer ces choix par un tiers fait partie de notre liberté revendiquée d’hommes. Le libre échange permet également au vendeur de vérifier la bonne adéquation de son produit au besoin de l’acheteur. De façon générale, le marché fonctionne donc si deux conditions sont respectées:

-une véritable liberté d’accès garantie aux acheteurs ou consommateurs aux divers produits présentés en concurrence.

-l’absence de subordination ou de dépendance vitale de l’acheteur vis à vis du vendeur ou réciproquement. L’un serait obligé d’acheter pour survivre à n’importe quel prix, l’autre de vendre pour aussi survivre à n’importe quel prix, auquel cas l’échange devient inégal. D’où la nécessité de contrôler les positions monopolistiques soit en créant des situations de concurrence, soit en mettant le producteur ou l’acheteur sous contrôle démocratique lorsque le monopole est impossible à contourner : une ressource minière ou une monoproduction régionale : pétrole, cacao...

Le libre échange défend aussi quelque chose que nous aimerions aussi conserver : La libre association pour entreprendre. La libre entreprise permet à un individu ou tout groupe d’individu de se rassembler autour d’un projet pour offrir un produit ou service à ses concitoyens : Ce service peut avoir un caractère individuel ou collectif, être marchand ou non.

Soyons clair : Nous ne résoudrons pas toutes les inégalités, ni ne préserverons l’avenir de notre planète seulement en déclarant la guerre à la rémunération et à l’accumulation aveugle du capital, et en prônant une économie de marché avec concurrence et sans monopole. Mais pourquoi accepter sans broncher des pressions capitalistes qui n’ont rien de mineures, sous prétexte que le fait de changer les règles du jeu économiques et d’en imaginer de nouvelles est difficile ?

La conclusion de ce texte est de dire qu il existe une voie pour une certaine économie sociale de marché, qu’il serait bon de revisiter en lui retirant la pression capitaliste. Quelle accumulation non capitaliste ? Quel rythme ? Quel contrôle ? Quel mode de rémunération de l’épargne ?


Voici quelques pistes pour le débat…






2. Des suggestions : une fiscalité anticapitaliste favorisant la création de richesse.




La démarche du mouvement ATTAC sur la taxation des transactions financières a eu un large écho, car elle a pointé avec justesse ce que chacun percevait plus ou moins clairement : le nomadisme et la puissance de ces capitaux énormes accumulés par les puissances financières.

ATTAC a aussi attaqué les paradis fiscaux qui constituent ces lieux d’accumulation défiscalisée, à l’abri des lois et règlements des Etats. Or les Etats nationaux sont perçus à juste titre comme un des remparts aux excès de cette accumulation insatiable et mécanique. En l’absence de classes possédantes éclairées, car diluées dans la société ou volontairement cachées dans l’anonymat capitaliste, seuls les Etats ou les institutions internationales semblent en effet capables de fixer un certain nombre de règles du jeu : lois, règlements, impôts et filets à imposer à ce capitalisme.

Nous devrions poursuivre dans ces voies, et aller plus loin dans nos propositions de gouvernances économiques et mesures fiscales. L’objectif est relativement clair : « Favoriser le capital qui assure le développement durable, neutraliser l’accumulation susceptible d’alimenter la spéculation, contrôler les prélèvements trop importants de la rémunération du capital, en évitant soigneusement de freiner la création de richesse ; Empêcher les accumulations qui confèrent un droit permanent de prélèvement sur la richesse produite ».

Dans la pratique, et sans vouloir faire le tour d’une question qui mériterait débats d’experts et d’économistes plus spécialisés, risquons-nous à quelques suggestions :


2.1 Réformer la taxation des plus values:


Aujourd’hui en France, une plus value de court terme sur un aller et retour spéculatif d’une action peut très bien n’être taxée qu’à 19 %, voire moins. A l’inverse une plus value sur un bien familial, acquis 30 ans auparavant, peut-être taxée jusqu’à 30%.

La suggestion est simple: taxer d’autant plus les plus values que l’acquisition en a été récente ; ex 40% ou plus pour une plus value de moins de 3 mois, mais 33% pour un an, 30% pour 2ans et ainsi de suite de façon dégressive vers une taxation faible voire nulle pour des plus-values sur des biens acquis 15 ou 20 ans auparavant. (La taxation pourrait être nulle si le taux de rendement du capital de cette plus-value est inférieur à un certain seuil, bas, considéré comme une accumulation moyenne « normale» pour la période considérée).

Ces mesures ne seraient pas destinées à produire de la masse fiscale, mais à réguler par les coûts les comportements des investisseurs, de même qu’une contravention contribue à faire respecter les limitations de vitesse. Néanmoins les impacts sur les comportements seraient très importants :

-Un coût prohibitif d’un aller et retour de court terme peut éradiquer rapidement ces pratiques spéculatives.


    1. Taxer beaucoup moins les profits réinvestis que les profits distribués


En France aujourd’hui, la taxation des bénéfices « société » est d’environ 36% (33% plus 10%), que ceux-ci soient distribués ou conservés dans l’entreprise. Toutefois, les dividendes bénéficient d’un avoir fiscal (crédit d’impôt sur le revenu) au profit des actionnaires pour 50 % de leur valeur, l’impôt ayant déjà été considéré comme payé une fois. Le scandale, mémorable, d’un ministre qui pouvait justifier d’un tel crédit d’impôt du fait de dividendes reçus qu’il ne payait aucun impôt sur l’ensemble de ses revenus, n’est plus à l’ordre du jour du fait des évolutions de la loi fiscale. Cependant cette différenciation résiduelle en faveur du dividende demeure à l’encontre du but recherché : favoriser le réinvestissement du bénéfice dans l’entreprise pour des projets nouveaux.

Sans pour autant ne jurer que par le bénéfice non distribué (une certaine mobilité du capital est nécessaire dans un monde dont les besoins évoluent), ce profit conservé dans l’entreprise devrait être moins taxé que le bénéfice distribué. Pour diminuer l’effet néfaste de l’impôt société sur l’investissement de ces mêmes entreprises, Il a existé régulièrement dans le passé des mesures sectorielles ou crédit d’impôts, pour l’investissement ou pour la recherche, preuve que cet effet néfaste de l’impôt sur le bénéfice réinvesti a été bien perçu par l’Etat.

A l’inverse les dividendes, à moins qu’ils ne soient réinvestis dans une entreprise, devraient être taxés sans avoir fiscal. Des mesures partielles existent d’ailleurs en France pour l’investissement dans le capital des PME.

Il ne paraît pas nécessaire de faire grimper ces taux au-delà de ce qui existe actuellement, d’ailleurs les plus anciens pays d’Europe ont des taux d’impôts sociétés qui se rapprochent tous de 33% avec des variantes, mais plutôt de supprimer les exonérations multiples.

Afin d’éviter le dumping fiscal de certains pays entrants, des règles de convergence décidées au niveau européen sont politiquement accessibles, au vu des rapports de force actuels. (On cite fréquemment la Lettonie qui a un taux d’impôt société à 0%, mais on oublie de dire qu’il ne concerne que le bénéfice réinvesti, mesure qui n’est pas aberrante en période de rattrapage économique).


Cette mesure va plus loin qu’un simple différentiel de taxation ; l’enjeu est plus important :



Certes, ainsi faisant, on peut être amené à diminuer le prélèvement fiscal immédiat sur l’accumulation du capital interne à l’entreprise, mais il s’agit en réalité d’un report d’imposition qui surviendra lorsque le capital sortira du cercle de l’entreprise, lors de la distribution de dividendes ou la réalisation de plus values.



2.3 la maîtrise de taux d’intérêt faibles


Nous avons vu que le taux d’intérêt n’est pas seulement un régulateur de création monétaire aux mains des banques centrales, mais représente un niveau minimum de rémunération du capital dormant non encore réinvesti. Plus celui-ci est élevé, plus les autres prélèvements nécessaires à la rémunération du capital seront mécaniquement tirés vers le haut, plus la norme de rémunération du capital sera élevée, plus le partage de la richesse sera déséquilibré entre travail et capital, plus les crises de demande ou de suraccumulation seront fortes.

De plus les capitaux circulants en attente d’investissement physique auront tendance à se satisfaire de ces situations d’attente rendant encore plus instables les équilibres macroéconomiques : crise de demande et sur accumulation.

Un consensus semble donc exister sur l’avantage de taux d’intérêt bas, car tous les pays ont besoin de s’alimenter en liquidités bon marché pour permettre aux entrepreneurs d’investir sans avoir à rentabiliser fortement et d’emblée un capital  initial.

Nous avons vécu des périodes historiques où les taux d’intérêt étaient structurellement bas : cela correspond aussi aux périodes où le capital a trouvé dans l’activité économique les solutions ou les perspectives pour prélever facilement une rémunération correcte dans les entreprises. Toutefois ces mêmes systèmes de régulation monétaire ont été capables de générer des taux très élevés comme à la fin des années 80 début des années 90. Cette situation a autorisé des prélèvements importants au profit d’un capital d’attente dormant, qui n’avait plus de perspective de création de richesse. Ce mécanisme est fondamentalement pervers et antiéconomique.

Cette discussion sur les taux d’intérêt fait l’objet de débats souvent véhéments entre économistes, sans doute parce que nous touchons le coeur des schémas de pensée ; le débat peut se résumer ainsi : le capital argent est-il lui-même un facteur de production indépendant, producteur de richesse au même titre que le travail ? Ou n’est-il que la représentation d’une accumulation du travail d’autres personnes ou de générations passées ? La réponse à cette question détermine grandement les choix et la vision de la juste rémunération de ce capital argent.


En ne considérant que le développement global et collectif de l’activité économique, aucun pays n’aurait fondamentalement avantage à favoriser par des taux d’intérêts élevés ses rentiers au détriment de ses actifs. Alors pourquoi les gouvernements y cèdent-ils ? Certains n’ont pas le choix car leur monnaie dépend d’une monnaie dominante. Pour d’autres, il s’agit d’un choix délibéré pour privilégier une classe possédante au pouvoir. Et enfin pour certains, ces taux élevés sont considérés comme un désagrément entre deux phases plus « normales », le résultat d’un marché présentant des tensions transitoires mais se régulant par le marché lui-même. Les économistes classiques ne voient dans ces déséquilibres qu’une demande de monnaie trop forte de la part d’investisseurs par rapport à l’offre, et ne veulent pas examiner l’origine de ce besoin. Les banques centrales de ces gouvernements considèrent que ces déséquilibres vont s’atténuer du fait même des taux d’intérêt élevés qui vont ralentir la demande de monnaie. Ces autorités monétaires voient bien la demande d’endettement fléchir et les taux d’intérêt baisser, mais aussi l’activité économique se ralentir. Au passage, on oublie que cette phase a été précisément l’occasion de renforcer la valorisation des capitaux flottants qui préfèrent cette situation transitoire à un investissement dans une économie réelle qui peine (à causes de résistances sociales ou du marché) à offrir une rémunération suffisante.

Pour favoriser la croissance, mais aussi pour lutter contre les suraccumulations du capital, il est donc important de déclarer comme vital et essentiel pour une économie d’avoir des taux d’intérêts bas (par ex 2% net maxi au-dessus de l’inflation). Ces taux d’intérêts sont sans doute une des variables les plus déterminantes pour la conduite économique d’un pays ou d’une zone économique, d’où l’importance pour nous qui sommes dans une zone « euros » de l’existence d’une banque centrale européenne qui affiche clairement et différemment ses règles du jeu et ses priorités.

Garantir la permanence de taux faibles ne signifie pas pour autant qu’il ne faille pas contrôler la création monétaire, ni maîtriser l’inflation (dont on a vu qu’elle pouvait résulter d’une recherche de valorisation du capital), mais ce contrôle peut être fait par d’autres moyens que les coûts, d’où l’importance d’une politique de création monétaire en cohérence avec une politique économique d’accumulation contrôlée.


2.4 La maîtrise de l’accumulation : des normes démocratiques


Une gouvernance différente non capitaliste se verrait attribuer un rôle dans la régulation de l’accumulation et de la rémunération du capital. L’accumulation et la rémunération passant automatiquement par des flux monétaires, la politique monétaire et la fiscalité vont constituer des outils adaptés et efficaces.

Ce rôle nécessitera que l’Etat ou les groupes d’Etat (l’Europe en construction, l’ONU, le FMI ou la banque mondiale) définissent cette politique produisent des lois et règles qui lui donne de la cohérence, et des objectifs.

Politique monétaire, comme nous venons de le voir: contrôler la création monétaire de sa zone économique et en ne laissant surtout pas ni aux spéculateurs anonymes ni à quelqu'un d’extérieur le soin de fixer ni les taux d’intérêt, ni les parités de monnaie. Le problème n’est pas économique mais éminemment politique.

.Actuellement les USA imposent au monde une politique économique qui permet de rentabiliser leurs capitaux à un niveau correct, malgré des déficits commerciaux et budgétaires très importants, et avec la complicité de la Chine qui y trouve actuellement son intérêt. (Voir le paragraphe C 5 sur les normes de rendement du capital). Ils n’ont aucune raison de se priver de cet effet de levier qui permet de rentabiliser beaucoup mieux leurs capitaux propres que ne le permettrait une gestion classique de leur économie, et donc laissent traîner leur déficit quitte à avoir un dollar faible. Nous avons ardemment besoin en Europe de construire une autre politique monétaire.

Politique budgétaire ensuite : savoir détruire ou neutraliser du capital (en empêchant sa valorisation) quand l’argent accumulé et/ou spéculatif devient trop important, et au contraire en créer lorsque celui-ci vient à manquer pour mobiliser des énergies. Cette politique s’inscrit dans une tradition keynésienne originelle : favoriser l’investissement par la participation de la puissance publique aux investissements. (Et non pas des relances des dépenses de fonctionnement des administrations publiques comme on l’entend parfois).

A cet égard, il paraît souhaitable de distinguer dans le budget de l’Etat les dépenses de fonctionnement pour les services non-marchands : administration, école, soins, entretien des routes etc.…, des dépenses d’investissements ou d’infrastructures. Les premières devraient être financées essentiellement par les impôts liés à l’activité exclusivement: TVA, impôt sur le revenu ou les sociétés. Les secondes qui concernent le potentiel d’échange et de production du pays devraient être financées avec une vision à long terme en utilisant les impôts sur la sur accumulation : dividendes, plus value et droit de succession. Seules les secondes mériteraient un endettement, en cohérence avec un rythme d’accumulation maîtrisé. Ce type de gestion serait beaucoup plus dynamique et efficace que la règle européenne actuel uniforme d’un déficit global inférieur à 3%.

Il conviendrait au contraire d’interdire tout déficit d’activité courante, mais d’utiliser l’endettement de l’Etat pour réaliser sous forme de programmes pluriannuels les dépenses d’investissement (y inclus les efforts de formation !) et d’infrastructures, insuffisamment rentables pour le « privé ».

Toutefois nous percevons bien que la fiscalité ou même la monnaie ne suffiront pas à réguler cette accumulation. Notre approche va plus loin, car il ne s ’agit pas seulement de relancer par la mise en chantier de grands projets, ce qui est fait actuellement peu ou prou par les gouvernements, mais de réguler l’accumulation :

- ralentir l’accumulation sectorielle  dans des secteurs où celle-ci est jugée trop rapide pour en aider d’autres où l’accumulation est trop faible, en particulier lorsque les retours sur investissements sont trop longs, bien que souhaitables pour les générations futures : infrastructures, dépollution.

- maîtriser l’accumulation globale de la zone économique (l’Europe pour ce qui nous concerne) pour éviter des déséquilibres permanents que le capitalisme génère et ne sait pas contrôler. A un niveau global, il s’agit de veiller à ce que le rythme moyen d’augmentation du capital ne dépasse pas celui de la production. Ceci supposerait de détourner du cycle de valorisation un capital qui serait accumulé de façon excessive ; ne pas le détruire ou le confisquer, mais le neutraliser en diminuant ou interdisant sa demande de rémunération.

Cette gouvernance économique aura besoin de se créer de nouveaux indicateurs de pilotage : en plus des taux d’intérêt, de l’inflation, le taux de chômage ou les indices de croissance, des indicateurs synthétiques sur le capital investi et le capital accumulé seront nécessaires pour éclairer le débat démocratique et les choix économiques. Son rôle sera par exemple de se prononcer régulièrement en fonction de notre situation dans les cycles économiques, des possibilités ou objectifs d’accumulation du capital d’un secteur, d’un pays ou d’une zone économique. Indiquer clairement que 20% est trop important à une période donnée, affirmer au contraire que 10 % constaté ailleurs peut-être insuffisant si le progrès technique est là.

L’objectif n’est pas de limiter la croissance, mais de privilégier les croissances durables, éthiques, équilibrées qui respectent les hommes et les environnements.

Soulignons que cette norme d’accumulation devra être liée au taux d’imposition des plus values fixé par ailleurs. Une imposition des plus values liée à la durée, prenant en compte un rendement moyen ou une actualisation de 3%ou 4%, serait sans doute adaptée aux conditions économiques actuelles européennes.

Définir une véritable politique industrielle, de production et d’aménagement du territoire, c’est aussi valoriser les coûts de notre gaspillage d’énergie et de nos pollutions, actuellement non-marchands pour les introduire dans nos arbitrages économiques d’hommes libres. Tel est l’enjeu d’une telle gouvernance démocratique, à construire…

2.5 Se pencher sur la transmission du capital


Le capital se transmet de génération en génération par héritage, avec plus ou moins de frottement fiscal selon les pays. Cependant il existe une caractéristique commune à tous les pays capitalistes : les inégalités de patrimoine sont très élevées, beaucoup plus que les écarts de revenus (10 fois plus d’écart en France) et surtout ne font que s’accroître avec le temps. Seuls les libéraux naïfs font semblant de s’en étonner, car c’est une résultante mécanique de l’accumulation capitaliste qui pèse encore plus sur les patrimoines que sur les revenus: non seulement l’argent va à l’argent, mais il traverse aussi les générations. On peut parler ici de véritables reproductions de classes sociales.

S’il est important de se pencher sur l’héritage pour des raisons de justice sociale, c’est aussi et surtout pour le contrôle de l’accumulation. Il existe un seul moment où l’on peut neutraliser un excès de capital en attente de valorisation, sans léser ceux qui ont beaucoup travaillé à cette création de richesse : précisément au moment du passage de génération !

Précisons tout de suite : Le problème de la régulation de l’accumulation n’est pas de taxer le patrimoine immobilier familial qui d’ailleurs pour l’essentiel n’entrera jamais dans un cycle d’accumulation / rendement. Le problème est l’accumulation qui accroît le prélèvement rentier des possédants sur l’économie.


Les droits de succession peuvent être réformés de façon très claire :

- Détaxer complètement le patrimoine immobilier familial qu’il peut être considéré comme légitime de léguer à la génération suivante ; ceci pourrait correspondre à une franchise correspondant à un certain nombre d’années de revenu moyen (7 ans par ex soit 200 000 euros environ aujourd’hui chiffre qu’il faudrait aussi augmenter selon le nombre d’enfants bénéficiaires).

-En revanche, au-delà de tels seuils, taxer de façon importante et nettement progressive les autres actifs, de façon à redistribuer un peu les cartes à chaque génération, mais surtout à éviter la suraccumulation dont on a vu les conséquences sur le partage de la valeur ajoutée au détriment du travail. Cette taxation des successions ne doit pas démolir l’outil de travail que constitue l’entreprise, en obligeant par exemple les actionnaires héritiers à vendre leurs parts pour payer l’Etat ; on ne ferait que fragiliser le capital « productif » accumulé dans l’entreprise: ce problème devrait être réglé mais par une politique de taxation faible prélevée dans la durée et non par des exonérations. Cela consisterait par exemple à déclarer que les actionnaires héritiers ont le choix entre payer maintenant la totalité des droits (hors franchises) dans le cas où ils vendraient leur société à un tiers, mais payer en différé et de façon non pénalisante, si les héritiers conservent l’entreprise, c’est à dire un bien non liquide. Ce prélèvement différé devrait se situer à un niveau inférieur à la rémunération d’un actionnaire capitaliste qui voudrait rentabiliser son investissement.


Prenons l’exemple d’une affaire familiale, qui aurait une valeur de 4,2 millions d’euros et qui serait normalement taxée, après une décote de 200 000¤, à 50% : soit un droit de succession de 2 millions d’¤. Les héritiers en conservant l’entreprise pourraient acquitter leur droit sur 25 ans, par l’intermédiaire d’un prélèvement sur les dividendes de l’entreprise de 80 000 euros par an. Ceci représente chaque année 1,9 % de la valeur de l’entreprise. L’Etat deviendrait ainsi par procuration un bénéficiaire de la rémunération capitaliste, mais qui pèserait moins sur la rémunération du capital qu’un actionnaire privé. Ce dernier demanderait en effet un minimum de 5%, 10% ou 15%. Des détaxes pour distribution d’une partie ou de la totalité des actions aux salariés de cette entreprise pourraient accompagner ce dispositif de déconcentration du pouvoir et du capital.


Cet élément de régulation de l’accumulation est facile à utiliser, efficace, n’affecte pas le travail et la motivation des individus, et surtout peut constituer une cagnotte importante pour mener soit une politique industrielle, soit une politique de constructions d’infrastructures, soit des investissements dans des secteurs collectivement jugés utiles, mais dont les retours sur investissements sont très faibles : 25, 30 ans ou plus.


2.6 Un impôt sur le revenu et la fortune ?


Ces impôts sont considérés comme étant re-distributifs donc justes. En réalité leur aspect re-distributif est assez marginal du moins dans la configuration actuelle, mais surtout leur influence sur l’accumulation capitaliste est très limitée.

En effet l’impôt sur le revenu (IR) prélève sur tous les revenus issus de la valeur ajoutée : salaires et revenus du capital (revenus fonciers, intérêts, plus-value, dividendes). En France on constate un taux d’imposition marginal sur le revenu fort de 50%, mais un taux moyen très faible (moins de 15%) et encore pour la moitié de la population qui paient l’IR, grâce à une kyrielle d’exonérations qui préservent ou encouragent l’accumulation des plus riches : produits immobiliers ou outre-mer défiscalisés, etc.…Non seulement l’IR pèse plus sur les revenus du travail que du capital, mais il ne fait aucune distinction entre revenus de spéculations de court terme et plus value long terme ; de plus il cherche à exonérer l’accumulation financière par des mesures diverses.

Ainsi, l’impôt sur le revenu n’a non seulement aucun effet sur la régulation de l’accumulation capitaliste, mais a tendance au contraire dans sa formulation actuelle à encourager les revenus de la rente. Clairement l’impôt sur le revenu malgré des taux marginaux élevés ne diminue en rien le prélèvement capitalistique sur la création de richesse.

L’objectif d’un Etat devrait être d’encourager la création de richesses durables, pas de diminuer le revenu disponible; au contraire l’Etat devrait encourager les créations de valeur : encourager l’investissement productif et durable, ne pas décourager les épargnes nécessaires à tout projet d’entreprise, et au contraire pénaliser les comportements de rentiers.

Il ne paraît donc pas nécessaire de se focaliser sur cet impôt, ni de mettre des taux marginaux d’imposition élevés, assortis d’une multitude d’exonérations diverses et variées pour compenser ses effets dissuasifs. De plus, contrairement à l’impôt sur les plus values et dividendes, le niveau et le mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu sont très liés à la culture propre de chaque communauté et à la façon dont sont organisés les services publics de chaque communauté : revisitons les à partir de cette problématique : (voir infra public/privé)


Paradoxalement, après tout ce discours sur les accumulations excessives, nous allons aussi critiquer l’impôt sur la fortune (ISF), car il se réfère à une vision plutôt archaïque du fonctionnement de nos économies et n’est pas efficace.

Etre riche sans avoir de revenus, cela a existé et existe encore : les agriculteurs qui étaient dans l’obligation de racheter des terres sans avoir les moyens de prélever un profit suffisant pour payer les intérêts de leurs emprunts, ne faisait que s’endetter pour mourir riche. Pour conserver à cet impôt un caractère viable, on l’a assorti de nombreuses décotes et exonérations plus ou moins justes selon les biens concernés

Si l’ISF cherche à redistribuer le capital, il paraît beaucoup plus judicieux de le faire à l’occasion des successions de génération avec les règles développées ci-dessus. S’il cherche la redistribution des revenus et diminuer les écarts de revenus entre les plus riches et les pauvres, pratiquons ce que certains ont suggéré : impôts sur le revenu efficace sur les plus élevés et impôt négatif pour d’autres, mais ne cherchons pas dans l’ISF ce qu’il est incapable de faire. Enfin, quelle nécessité d’imposer une fortune qui ne produit rien ? Le problème de nos économies n’est pas la fortune mais son usage.

En revanche si l’on veut imposer les capitaux qui rapportent et s’accumulent et réorienter les choix des épargnants, ce qui paraît hautement souhaitable d’un point de vue de la régulation de l’accumulation, il vaut mieux imposer au moment de la création de ce revenu, et le moduler selon leur usage : impôt fort sur les plus-values à très court terme, plus faible qu’actuellement sur la plus value long terme et impôt plus faible sur le profit réinvesti que sur celui distribué.





  1. Des débats annexes à revisiter


En posant la question de la légitimité du libre échange et du capitalisme, il est bon de revisiter les expériences alternatives, et reprendre la réflexion sur des sujets que nous sommes couramment en train de discuter :


Si le capitalisme est si pervers, pourquoi les alternatives comme les économies socialistes ont-elles échoués ? Faut-il plus ou moins de service public ? Le caractère privé ou public des moyens de production est-il important pour l’avenir ? Quel doit être le rôle de l’Etat ? Quelle politique commune européenne? .

Il serait présomptueux de répondre à toutes ces questions, néanmoins l’analyse précédente invite à une certaine lecture.



3.1 Le capitalisme triomphant et l’échec des économies socialistes

Le capitalisme est triomphant, depuis que les économies centralisées ou étatiques ont fait apparaître leur faillite…Ainsi l’économie libérale capitaliste est majoritairement acceptée parce qu’il n’y a pas aujourd’hui d’alternative crédible et qu’elle est associée à un autre volet du libéralisme que personne ne conteste : la liberté individuelle.

Les USA ont fait un dogme de cette liberté ; très majoritairement (sans doute incluant 80% des électeurs républicains ou démocrates), les Américains pensent que les inconvénients des restructurations permanentes de leur appareil productif sont largement compensés (du moins à ce jour ) par les avantages de la liberté totale de produire et de vendre avec leur système économique. La recherche de sens à leur vie se focalise avant tout sur le développement individuel, l’éthique personnelle et la morale familiale (avec des déchirements internes très forts sur l’éventail politique) mais pas du tout ou très peu (jusqu’à ce jour) dans une interrogation sur la finalité du développement économique.

Notre Europe de l’Ouest, du fait ce sa pluralité, de son histoire parsemée de guerres sanglantes, est beaucoup plus interrogative sur les compétitions féroces qu’engendre notre développement économique. Le vieux continent s’interroge sur les finalités mais se trouve aussi plus divisée dans les réponses à apporter.

L’Europe de L’Est vient d’obtenir sa liberté et constate le retard de développement économique par rapport à l’Ouest. Ces pays ne voient pas en quoi on limiterait ou blâmerait le système qui a permis aux occidentaux un tel développement. Même s’ils commencent à percevoir les inégalités générées par le capitalisme triomphant, ils se préoccupent assez peu des interrogations de Européens de l’Ouest qui sont perçus comme des enfants gâtés.

L’Asie a rattrapé ses retards de développement de façon inégale ; son objectif est d’abord autocentré : se développer avec pour objectif premier de nourrir et loger sa population à démographie galopante. Même la Chine d’idéologie toujours communiste accorde de façon pragmatique une liberté de commerce d’entreprise et de parole (assez limitée) et pratique ainsi un capitalisme sous contrôle de l’appareil politique, avec un objectif affiché d’atteindre en une ou deux générations le niveau de vie occidental.


La réponse est donc claire. Globalement et malgré des situations humaines difficiles à admettre, le modèle de développement occidental est attirant soit à cause de la liberté individuelle qu’il procure, soit à cause de ses performances dans le développement qui sont associées à l’efficacité du capitalisme.


A contrario, Les économies centralisées et étatiques ont échoué pour les deux même raisons : limitation des libertés et manque d’efficacité dans le développement. Ce manque d’efficacité tient à des faits simples que chacun connaît bien : Lorsque les individus ne sont pas impliqués dans les décisions, les adhésions et les motivations se diluent. A l’inverse une responsabilisation des personnes aux conséquences de leur choix est un facteur de réactivité et de pragmatisme. Par ailleurs l’ouverture des frontières poussée par la généralisation de l’échange marchand crée une importante émulation, confrontation, stimulation des connaissances qui améliorent la performance globale de tous ceux qui ont vu « comment cela se passait ailleurs ». C’est un des avantages importants de l’économie d’échange concurrentielle.

Ne pas vouloir admettre ces réalités, sous prétexte que l’idéologie libérale utilise ce même discours pour justifier le capitalisme, ce serait s’aveugler. Il nous faut donc réécrire l’économie politique de demain.


3.2 Plus ou moins de service public dans une économie de libre échange?


Question cruciale, en France au vu des crispations autour de ces sujets, et même en Europe, où malgré le libéralisme dominant, cela a été inscrit dans le projet de constitution européenne.

Essayons d’être analytique: Il est indispensable de bien distinguer deux types de services publics : ceux qui produisent des biens marchands (EDF, France Télécom ou la SNCF) et ceux qui ne produisent pas de biens marchands, soit parce que le bien est collectif : les routes, la distribution d’eau, le traitement des eaux usées, l’évacuation des déchets, soit parce que la collectivité a décidé de faire partager égalitairement ce bien : l’école ou les soins médicaux.


Les biens marchands gérés par le public: En situation de concurrence, l’entreprise est dans l’obligation de fournir un service que le client souverain apprécie à son juste prix. C’est ainsi que nous avons des services publics efficaces et aussi compétitifs que des solutions privées : Renault, de nos jours. EDF, même en situation de monopole, est globalement efficace et se permet aussi d’afficher des objectifs propres : (en acceptant par ex une certaine péréquation des coûts dans la distribution d’électricité).

Aucune loi ou disposition actuelle n’empêche une entreprise publique d’être performante et efficace, au service de ses clients, et d’équilibrer ses comptes. Les mutuelles ou coopératives font aussi bien que des entreprises privées. La réussite est essentiellement liée à la qualité et de la performance de leurs équipes et de leurs dirigeants. Dans la mesure où le consommateur continue à exercer son pouvoir démocratique, le mode de propriété, publique, coopératif, mutualiste ou privé, a finalement assez peu d’importance sur l’efficacité.

Rappelons que le fait de ne pas avoir à rentabiliser les capitaux propres diminue la pression de prélèvement du capital et donne théoriquement au « public » des marges de man½uvre supplémentaires (un peu à l’exemple des mutuelles ) dans le système concurrentiel.

Dans le cas d’EDF, l’avantage va même au-delà puisqu’une partie du développement du programme électronucléaire dont on bénéficie aujourd’hui a été financé sur le budget de l’Etat et non par l’entreprise elle-même.

Toutefois, lorsque ces services sont en situation de monopole, (le même EDF, France Télécom, certaines compagnies des eaux), on y observe assez fréquemment de grandes rigidités face aux techniques nouvelles ou aux évolutions des besoins des consommateurs. Cette situation n’est pas spécifique au caractère « public » : le privé, dans les mêmes situations, réagit naturellement de la même façon car les mêmes causes produisent les mêmes effets: sans stimulateur extérieur, sans manifestation régulière du pouvoir du consommateur, les entreprises monopolistiques ont tendance à prendre de la distance par rapport au besoin du consommateur/client /usager final. La machine vit d’abord pour elle-même. « Les monopolistes »  oublient de faire les gains de productivité que propose le progrès technique et, s’ils le font, notamment quand ils sont privés, oublient d’en faire profiter les clients. Il paraît donc essentiel pour la survie et l’efficacité de ces entreprises publiques, comme privées, de ne jamais les laisser en situation de monopole. Lorsque le marché ne le permet pas (un transport collectif de ville par ex), il paraît important d’organiser un pouvoir fort de l’usager dans ses instances de direction ou de contrôle et de disposer de techniques de sondage approfondies pour mieux coller aux besoins des usagers et leurs évolutions.


L’intérêt principal du service public dans ces secteurs marchands est ailleurs :

Comme on l’a souligné, le privé a beaucoup de mal à penser à long terme parce que les possesseurs de capitaux ont tendance à privilégier le court terme. Ainsi il n’y aurait pas eu de politique industrielle spatiale ou ferroviaire ou d’énergie nucléaire en France sans une implication très forte de sociétés publiques. Aucun privé n’aurait pu financer Airbus ou le TGV. A contrario, le tunnel sous la manche a ruiné ses petits actionnaires parce qu’il ne pouvait rémunérer l’énorme coût de la dette privée (la rémunération du capital par l’intérêt bancaire) ; seul un financement partiellement public, à fond perdu ou à retour sur 30 ou 50ans (donc sans espoir de rentabiliser les capitaux bancaires investis entre 7% et 10%) aurait permis de réussir financièrement ce qui est par ailleurs une réussite technique.

Pour ces biens marchands, la question n’est pas « plus ou moins de service public », mais « Quels sont les secteurs où une vision stratégique locale ou nationale de long terme s’avère nécessaire ? » et « Comment la mettre en ½uvre avec le concours public ? » Le débat est loin d’être terminé : Selon les pays, les cultures ou les besoins, cela passera par du privé sous contrôle ou régulation étatique (autoroutes par ex), du public en concurrence avec du privé, du mutualiste. Au passage, si nous pouvons en profiter pour déconcentrer les pouvoirs et appliquer des principes de subsidiarité (ne pas prendre une décision à un niveau plus élevé que nécessaire ) fort en vogue au niveau européen, cela mobiliserait mieux les hommes de nos entreprises.

Citons une réalisation publique à mettre à l’actif d’un ministre communiste il y a 20 ans: la gestion du métro parisien a été décentralisée au niveau de chaque ligne, en donnant chaque chef de ligne s’est vu attribué une autonomie de décision dans la gestion globale de l’organisation des équipes et dans les moyens matériels. Ceci a été une grande réussite, avec pour résultat une meilleure disponibilité des rames et une diminution spectaculaire des conflits sociaux. De même les entreprises privées, sur les conseils de sociologues du management, ont divisé par deux leurs niveaux hiérarchiques et décentralisé la responsabilité au plus près du terrain, à celui qui perçoit les vrais problèmes, ainsi que les besoins et les désirs du client.


Ainsi, si l’on veut sauver la notion de service public dans le secteur marchand, et il mérite de l’être précisément à cause de son caractère non capitaliste, il paraît nécessaire d’expliciter de façon claire ses objectifs, d’y afficher le niveau d’exigence, et de mettre un contrôle d’usagers/clients lorsque l’entreprise est de facto en situation de monopole. La décentralisation des responsabilités et l’établissement des règles du jeu internes sont des facteurs également déterminants.


Les biens non marchands : C’est un choix politique essentiel de déterminer que certains secteurs seront non marchands, c’est à dire gratuits ou non rémunérés à leur prix de marché : L’école et les soins médicaux par exemple. Limiter le secteur de la sphère marchande, se justifie lorsque la société veut permettre un accès à tous indépendamment de ses revenus (exemple: les soins), soit parce que le pays considère le bien comme un investissement à long terme (l’école), soit parce que l’usage est par nature collectif (la route, rivière, bord de mer etc.).

Toutefois, une lecture économique telle que nous l’élaborons ne doit pas omettre d’examiner les difficultés propres à ces secteurs, auxquelles il est indispensable de construire des réponses sous peine de les voir s’effondrer d’eux-mêmes:

-La satisfaction du besoin non marchand est difficile à établir démocratiquement et on sait qu’il ne peut passer par un produit unique valable uniformément pour tous. (Cf. en particulier toute la difficulté de l’apprentissage scolaire avec pour conséquence les mêmes débats éternellement ressassés sur l’école ).

-Ces services ont un coût qu’il faudra financer par des prélèvements (impôts, charges sociales diverses ) qu’on ne sait aujourd’hui financer qu’en prélevant sur la sphère marchande des particuliers et entreprises privées : TVA, Impôt sur le revenu ou les sociétés, taxes locales. Ce prélèvement représente le prix que collectivement les citoyens sont prêts à payer, au travers de leurs impôts locaux, nationaux ou leurs charges sociales. L’étendue de cette sphère non-marchande est propre à chaque culture. Il existe en effet pour chaque individu et chaque collectivité une limite culturelle entre ce qu’il perçoit devoir payer en fonction d’un service collectif et ce qu’il préfère choisir de payer lui-même dans un échange marchand.

-Ces secteurs non-marchands doivent être aussi créateur de valeur sociale, comme le privé est porteur de valeur marchande. Si l’Etat ou l’Europe ne cherche pas à mettre en place des outils d’évaluation de cette valeur sociale, et des tableaux de bord permettant aux acteurs de ces services de faire des choix rationnels, le risque d’échec des économies étatiques pointe : déresponsabilisation, gaspillage, inefficacité ou immobilisme. Notre secteur de santé (financement quasi –public, mais secteur pour une part marchand et pour une part public non marchand, ne comportant aucune limitation de dépense ni par les ordonnateurs, ni par les patients) est à cet égard bien bancal et doit être réformé en profondeur. Comment ? Sans doute en utilisant des principes simples, d’ailleurs issus du libre échange : pouvoir du patient, contrôle décentralisé des coûts.

Nous constatons aussi que l’organisation de nos services publics ou de nos administrations territoriales publiques françaises est moins efficace que ceux de nos voisins des social-démocraties scandinaves, tout en l’étant beaucoup plus que celles de nombreux pays méditerranéens. Pourquoi ? Il n’est pas ici question de porter un jugement sur chaque service public qui contient des secteurs très efficaces. Soulignons seulement le pragmatisme de qui a permis à nos voisins socio démocrates du Nord de faire des progrès : pas de grands débats généraux sans décision pratique, pas de décision à un niveau plus élevé que nécessaire, responsabilisation des hommes de terrain. Nos administrations d’Etat, comme de nos régions et communes ont de toute évidence un chemin à faire dans ce sens. Le débat interne à chaque service public est loin d’être terminé, mais précisément, ce n’est pas parce que le bien est gratuit qu’il ne doit pas être bien géré. Donner un pouvoir important aux usagers et décentraliser : au niveau national les choix principaux d’orientations et de mode de financement, au niveau local l’adaptation du produit ou du service et de ses moyens aux besoins locaux, avec une décentralisation des décisions de dépenses, dans le cadre d’un budget.


Il est donc judicieux d’avoir un secteur non-marchand sous contrôle public ; il s’agit d’un choix culturel important propre à chaque communauté. Notons d’ailleurs qu’il n’est pas obligatoire que toute l’organisation soit publique pour orienter un secteur : il existe des sociétés d’économie mixte adaptées. Des services publics peuvent être concédés à du privé dans un cadre réglementaire très efficace : Ainsi la distribution et le traitement de l’eau peuvent être concédés au privé avec des objectifs de progrès : durée de la concession, objectifs de prix de ventes décroissants ou maintenus sur la période, pratique éventuelle de péréquation des coûts en lieu et place d’une tarification marginale. Tout dépend de la volonté politique qui est derrière et des moyens que l’on se donne pour appliquer cette volonté. Pour les autoroutes, la question n’est pas tant que la concession soit privée ou publique mais dans la façon de déterminer la durée de la concession, leur mise en concurrence, eu égard aux objectifs de service et aux objectifs de prix de péage. Si la concession récompense un proche ou une amitié politique, le concédant est passible d’entente; il s’agit d’un délit équivalent à celui du privé qui abuse de positions dominantes ou pratique des ententes. C’est à la collectivité territoriale ou nationale qu’il appartient de décider quelles sont les meilleures dispositions pour administrer ces biens non-marchands.



3.3 Le caractère privé ou collectif des moyens de production 


Nous avons essayé de regarder le débat public / privé du point de vue du marché : concurrence, bien marchand ou gratuit. Nous avons conclu qu’un secteur non-marchand de propriété publique ou sous contrôle public était important: Etat, Région ou collectivité locale, école soins etc.… . Nous avons aussi souligné que les biens marchands avaient besoin d’impulsion publique dans les secteurs stratégiques ou à faible rentabilité. De plus, afin d’équilibrer un échange qui serait inégal, les situations de monopole doivent être mises sous contrôle démocratique des usagers (les modalités sont à inventer…).

Pour tous les autres biens marchands qui n’entrent pas dans ces critères, nous avons souligné à la fois l’avantage du libre échange et du marché, et la pression mécanique du capital. Au final, est-il préférable que ces entreprises qui produisent ces biens marchands soient de propriété publique ou privée?


Réfléchissons d’abord et encore sur un terme communément utilisé par tous, mais porteur de double sens ou contresens : la rentabilité. Il est fréquent d’entendre dire que la recherche de rentabilité perturbe et tue les choix socioéconomiques: « au nom de la rentabilité, on a sacrifié des emplois à la Poste, chez Air France ou Renault ». A la lecture de notre analyse sur la rentabilité du capital, de lecture à dominante marxiste, nous pourrions facilement cautionner de telles affirmations. Malheureusement, ces mots résultent d’un amalgame de langage regrettable.

On confond régulièrement « équilibre des comptes recettes/dépenses » et « rentabilité ». La première expression consiste à vérifier qu’il y a bien des recettes en face de la dépense, et éventuellement ajuster la dépense à la recette, lorsqu’on n'a pas les moyens d’augmenter cette dernière, comme le fait n’importe quel ménage ou association. La seconde fait référence à l’utilisation d’une part des recettes, le bénéfice ou le profit, pour rémunérer un capital. Or chez Renault ou Air France, la rémunération du capital n’a concerné pour l’essentiel que le capital bancaire emprunté, et l’Etat a plutôt reconstitué régulièrement le capital de ces entreprises sans toucher ni dividende ni plus-value. A l’hôpital, en dehors de quelques appareils de haute technologie type IRM pour lesquels on viendrait prélever un profit pour rémunérer un co- financement privé ou un leasing bancaire (donc à taux d’intérêt élevé), ce qui conduirait les utilisateurs à multiplier plus que nécessaire les examens pour faire tourner l’appareil et rentabiliser le capital investi au plus vite, nous ne sommes assez peu dans une logique de rentabilité. Ceci ne cherche pas à dénigrer les calculs d’amortissements de ces biens, ni l’utilisation de taux d’actualisation pour rationaliser des décisions. Mais les durées d’amortissement sont en général longues dans les sociétés publiques, c’est à dire proches de la durée physique de l’équipement ; les taux d’actualisation quand ils existent, sont de l’ordre de 3 à 4%, et donc inférieurs à ceux utilisés par le secteur capitaliste pour ses calculs de rentabilité.

Les secteurs publics marchands, comme d’ailleurs les non marchands, sont pour l’essentiel dans une logique d’équilibre des comptes et non de rentabilité.  Les entreprises ne distribuent pas de dividendes ni ne recherchent particulièrement à valoriser leurs titres en Bourse. Le bénéfice est utilisé en totalité pour investir. Certes ils investissent et en ce sens accumulent, mais nous situons ici dans le cercle vertueux de l’accumulation, celui qui permet de produire plus et mieux.

Cette moindre pression du capital procure donc un avantage économique important au secteur public. Alors pourquoi hésiter et ne pas se diriger d’avantage vers des propriétés collectives des moyens de production ? nous avançons deux types de raisons :

La première n’est pas propre au caractère public ou privé de la propriété, mais liée au positionnement propre des dirigeants des entreprises publiques, par rapport à leur actionnaire, l’Etat. Les objectifs de ces dirigeants, voire les dirigeants eux-mêmes, peuvent être changés à chaque législature. Ainsi, alors que « voir loin » constituait le principal avantage du public par rapport à une vision réputée plus courte des entrepreneurs privés, l’horizon se trouve raccourci par le rythme électoral. Seules les très fortes personnalités passent ces caps ! Mais la personnalisation n’est pas sans danger : la mesure des risques et l’élaboration des choix stratégiques est quelque chose de très difficile, qui ne peut être fait par un dirigeant seul. Dans le privé, les conseils d’administration ou des conseils de surveillance ont été créés par la loi pour exercer un contrôle de l’activité des dirigeants opérationnels, à la fois pour le meilleur (éviter des mégalomanies individuelles Enron ou Parmalat) ou pour le pire (raisonner rentabilité à court terme pour le maintien du cours de bourse), mais ce contrepouvoir existe et il est sain ! Dans l’entreprise publique du secteur marchand, le dirigeant n’a généralement pas en face de lui une compétence ou une vision à long terme du secteur, mais souvent un actionnaire « mou » qui ne pense qu’à tenir politiquement sa législature. De plus cet actionnaire est mal placé pour faire des choix sur la stratégie du transport aérien ou sur le renouvellement de la gamme de Renault, car il n’a généralement pas été élu pour cela. L’Etat se trouve dans une situation ambivalente : à la fois s’interdire d’intervenir politiquement dans des décisions qui concernent l’adaptation d’un outil de production à un marché, et qui ne devraient être jugées que de ce point de vue, et en même temps exercer une orientation politique afin de pousser les projets socialement utiles mais peu rentables à court terme. Ainsi il n’est pas évident que la propriété majoritaire d’une entreprise par l’Etat constitue la meilleure façon d’exercer ces préférences. Il y a sans doute d’autres moyens : L’incitation financière (la fiscalité entre autres), la réglementation, la concession …

Le deuxième type de raisons qui nous incite à ne pas généraliser un mode de propriété publique dans le secteur marchand non monopoliste, est d’une autre nature. Il ne s’agit pas d’économie, mais de nature humaine: L’homme fait mieux ce qu’il a lui-même décidé ou ce à quoi il adhère, et à l’inverse beaucoup moins bien ce qu’on lui impose ou lorsqu’il n’a pas participé à l’élaboration de la décision. L’homme n’est capable d’intégrer les contraintes que dans la mesure où il les perçoit lui-même personnellement. Toutes les organisations humaines, entreprises, associations, coopératives, communautés diverses, le savent. Face à n’importe quel besoin, l’autonomie d’un individu ou d’un groupe restreint permet d’apporter une solution plus rapide et efficace qu’une organisation collective. La recherche d’autonomie, surtout dans nos sociétés développées, est un argument en faveur de l’organisation sinon privée, du moins décentralisée.

Mais cette analyse va plus loin et touche aussi la propriété. Si l’on gère mieux son propre argent que celui des autres, ce n’est pas seulement ni même pour l’essentiel par appétit du gain comme laisse croire la théorie économique libérale (la maximisation du profit et la concurrence y produisent mécaniquement un équilibre de marché). Certes la recherche de profit existe, mais les enquêtes de comportements chez les patrons de PME ou d’artisans /commerçants font apparaître que le rôle social (hérité souvent des parents) ou le plaisir de l’action créatrice empreigne de façon encore plus forte leur motivation. La propriété privée individuelle présente également un autre très gros avantage dans la prise de responsabilité: les dirigeants sont en majorité plus sensibilisés aux risques de leurs erreurs s’ils savent que la faillite ne sera payée que par eux (pour être complet : avec leurs salariés et fournisseurs) ; les règles du jeu sont claires : personne ne viendra renflouer les caisses de leur entreprise. Cette notion de risque et de responsabilité explique bien le mode de raisonnement de cette catégorie d’actifs : leurs comportements peuvent être très virulents face à des réglementations tatillonnes compliquées ou contradictoires, mais ces mêmes personnes acceptent aisément, même s’ils la paient « cash », la responsabilité de la faillite. Or nous avons absolument besoin d’une société de responsabilité.


Face à ces avantages sociaux et économiques, ne vaut-il pas mieux conserver le caractère privé de la propriété des moyens de production pour ces biens marchands non monopolistiques, décentraliser ce que le marché privé sait bien faire, mais en revanche confier à l’Etat le contrôle du rythme d’accumulation ou de la recherche de profits? D’ores et déjà nous avons vu que les modes de propriétés associatives, coopératif, mutualiste ou même privé pour un certain nombre de PME présentaient des caractéristiques similaires de moindre valorisation du capital au même titre qu’une propriété publique, mais avec les avantages du privé.

Pour la production des biens marchands, la voie est certainement à chercher dans cette fenêtre : décentralisation des décisions par le marché, décentralisation des responsabilités au plus près du terrain, défense de la libre entreprise (privée, associative ou coopérative), contrôle par la fiscalité des accumulations excessives eu égard à l’équilibre général macroéconomique.





3.4 Le rôle d’un Etat national


Nous avons vu (§ 2.4) la nécessité d’une gouvernance économique : monétaire, budgétaire et fiscale, accompagnée d’une nécessité de régulation de l’accumulation, qui ne peut être laissé à la seule initiative privée. A quel niveau cette politique doit -elle s’exercer ? L’Etat français n’est-il pas dissous dans l’Europe de Bruxelles, elle-même dominée par la logique des transnationales capitalistes, qui sont au c½ur des méfaits du capitalisme mondial et ont absolument besoin d’une monnaie de valorisation la plus universelle possible, rôle rempli actuellement par le dollar dont la maîtrise nous échappe totalement

Il est souvent invoqué que nos économies sont si interdépendantes qu’il faudrait un gouvernement mondial avisé pour gérer tout ceci au mieux. Ne nous trompons pas d’analyse. 

Le discours dominant laisse entendre que le système capitaliste est par nature neutre, donc juste, et traduit la libre expression des rapports de force. Or nous avons réussi à identifier les tares propres de ce capitalisme : celui-ci favorise la rente permanente, renforce le pouvoir de ceux qui ont déjà accumulé en leur donnant le droit de prélever toujours plus du fait même de cette accumulation ; le capitalisme perpétue et accroît ainsi en permanence les déséquilibres de pouvoir ; l’échange inégal devient de plus en plus inégal, les compagnies transnationales de plus en plus puissantes, au point que les Etats en sont amenés à composer avec ces quasi-monopoles ou oligopoles privés (Microsoft ou les multinationales pétrolières), tellement leur puissance est incontournable.

A contrario, favoriser ou revendiquer une économie peu ou pas capitaliste (qui rémunérerait de façon sélective et contrôlée les capitaux accumulés) ne règlera pas, par un coup de baguette magique, les rapports de force de l’échange, les luttes pour le pouvoir ou l’appropriation des richesses disponibles. Ces problèmes restent et demeurent dans toute organisation humaine, avec ou sans pression mécanique de l’accumulation en recherche de rémunération. Ne tombons pas dans le piège de l’idéologie capitaliste libérale qui laisse entendre que le mécanisme est apolitique, en revendiquant que l’absence de rémunération du capital va automatiquement régler le problème de façon non politique, dans un libre échange devenu idéalement neutre. Nous devrons rétablir des règles alternatives permettant de résoudre les conflits d’intérêt et de favoriser les consensus et les coopérations plutôt que les guerres économiques. Or ces résolutions et ces consensus ne pourront être bien réglés qu’au plus près du terrain, là où les communautés trouvent plaisir et avantage à coopérer et échanger. Et il serait totalitaire d’imaginer qu’un gouvernement mondial oblige toutes ces communautés à adopter les mêmes règles partout. Laissons au local ce qui lui appartient : la régulation des conflits locaux -et il y a de quoi faire ! -Réservons au mondial ce qui est de son ressort, et nécessitera des coopérations ( la monnaie par exemple, voir ci après). Ainsi l’Etat, la Nation ne sont pas des notions dépassées.

L’Etat Nation constitue au contraire une communauté d’autant mieux acceptée qu’elle s’est construite par des siècles de langue et de culture commune. Loin de décrier leur rôle, reconnaissons que ces Etats Nations sont producteurs de consensus, de conscience collective, donc de partage des ressources et donc de paix pour le bien de la communauté. Et c’est au niveau de cet Etat que peut être prise en charge une grande part de la régulation de l’accumulation.

Le rôle de l’Etat serait :

-Réguler l’accumulation, pour prévenir les conséquences de la suraccumulation et au besoin freiner celle-ci. L’élaboration de règles et de responsabilités est nécessaire à tous les niveaux : l’agglomération,, la région, l’Etat. Plus exactement le souci de contrôle de cette accumulation doit marquer l’action de ces divers niveaux de gestion de l’espace du territoire et de son aménagement.

- Choisir la monnaie qui permettra la plus grande indépendance vis à vis des normes d’accumulation extérieure et participer à cette régulation.

-Adopter une fiscalité anti capitaliste : plus value, dividendes, et transmission du patrimoine.

-Faire les choix stratégiques de développement à long terme qui ne peuvent être financé par le privé ou qui présentent avec retour lointain, c’est à dire un taux d’actualisation peu élevé (énergies renouvelables par ex ou d’infrastructures lourdes.

-Définir les secteurs qui resteront non marchands et déterminer leurs objectifs et critères de performance.

-Décentraliser au maximum le soin de mettre en ½uvre les politiques d’investissement ou de services ainsi définis. Prenons l’exemple de l’école où deux systèmes d’écoles cohabitent : l’encadrement actuel de l’école privée par l’Etat parait largement suffisant pour imprimer à la fois une politique globale et décentraliser les réalisations et les responsabilités. Dans de nombreux secteurs, les pratiques de concession ou la constitution de sociétés d’économie mixte sont appropriées dans la mesure où la méthode et de gouvernance et les indicateurs de performance sont clairs et publics.

-Inventer de nouvelles organisations pour la réalisation de cette politique, organisation publique privée, associative.

-Préserver la concurrence ou le choix multiple, démasquer les situations de dépendance pour éviter les abus de positions dominantes ou les monopoles, libérer l’échange entre personnes, entreprises ou associations, mais en revanche contrôler fermement l’accumulation.

La majorité de ces actions peut être menée efficacement dans le cadre d’un Etat national.

Ce panorama du rôle de l’Etat est assez classique du point de vue de l’approche keynésienne. Avant de conclure, soulignons que l’Etat n’échappe pas à toute pression du capital  même quand il ne gère qu’un ensemble des biens non-marchands. D’un côté il prélève des impôts, de l’autre il paie des fonctionnaires et finance les outils nécessaires à leur activité. Si l’Etat ne faisait que dépenser ce qu’il a prélevé au préalable, il fonctionnerait comme une coopérative qui dépense sa trésorerie, et ne fait qu’équilibrer ses dépenses avec ses recettes. Mais l’Etat s’endette, et dépense plus qu’il ne perçoit, et dans des proportions qui sont loin d’être négligeables: le déficit public égale ou dépasse 3% de son budget, et depuis des années, ce qui représente à ce jour une dette accumulée plus de 2,5 fois le budget annuel de l’Etat ou de 60% du PIB total du pays. Ainsi nous consacrons environ 25% de tous nos impôts TVA  IR, IS à payer des intérêts d’une dette ancienne qui s’accumule sans se résorber. Malgré lui, l’Etat se trouve pris dans une logique capitaliste de rémunération d’un capital bancaire. A sa mesure, l’Etat, avec notre argent s’est mis dans une sorte de dépendance capitaliste. (Il paie d’ailleurs encore maintenant les périodes de taux d’intérêt élevés).

Ceci ne veut pas dire qu’un déficit du budget de l’Etat ne soit pas souhaitable ni autorisé, précisément pour lisser les cycles économiques et relancer à bon escient l’activité par des investissements d’infrastructure. Ce qui est en cause, c’est un déficit permanent récurrent, qui oblige l’Etat à consacrer chaque année près d’un quart de son budget à rémunérer du capital.

Ayant ainsi rétabli le rôle essentiel de l’Etat nation ou même de la région, dans la régulation de l’accumulation, il nous faut examiner maintenant ce qui relève des échanges mondiaux. Le libre échange ne pourra être considéré comme un avantage que s’il empêche l’apparition d’échanges structurellement inégaux, s’il évite l’accumulation de capital monétaire flottant générant des prélèvements de rémunération injustifiés, et si les fiscalités du capital ne sont pas trop disparates pour garantir une égalité des chances.


    1. Une politique commune européenne : un libre échange non capitaliste.


Nous sommes dans une zone économique particulière : L’Europe. Majoritairement régie par un système privé capitaliste, cette Europe présente des approches culturelles très variées. Les uns sont plutôt de tendance social-démocrate, les autres plus libéral-capitalistes, sachant que le discours affiché peut cacher des réalités très différentes.

Cette diversité peut nous laisser entendre qu’une action politique nationale, surtout si elle se présente comme anticapitaliste n’a aucune chance d’être perçue, donc majoritairement acceptée, et qu’il serait préférable limiter nos échanges avec l’extérieur de chaque Pays Nation. Soyons pragmatiques : aujourd’hui, il est strictement inutile de se poser des questions que notre histoire a déjà tranchées depuis plusieurs décennies : les échanges intra européens. Une volonté politique a émergé après la guerre pour construire une interdépendance de nos économies,, pour protéger une agriculture interne et construire la paix par l’économique, et pour mettre en place des politiques structurelles aidant les moins développés de rattraper les autres. Cette politique a été une grande réussite du point de vue de la paix, du développement et même si cela s’est fait dans un régime capitaliste, les politiques structurelles ont été une réussite qui a permis aux moins développés (Espagne, Portugal, Irlande, Grèce) de rattraper le niveau de vie des plus avancés tout en évitant le dumping social. A cet égard les actions de Bruxelles ont été un grand régulateur d’accumulation.

Aujourd’hui avec les nouveaux entrants nous sommes beaucoup plus frileux, laissons apparaître des craintes de perte d’identité et de concurrence déloyale et hésitons sur la pertinence de cette Europe. Certes rien n’est gagné d’avance et les orientations de Bruxelles auront d’autant plus d’efficacité que les politiques structurelles seront maintenues. Pourtant, et paradoxalement, cette diversité est peut-être la chance historique qui permettra d’infléchir les régulations économiques mondiales, et de lutter contre l’accumulation de type capitaliste:

-Les derniers pays entrants courent après une politique d’intervention et de soutien à leur développement de type keynésien, dont ils ont pu mesurer le succès chez des européens plus anciens comme l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande.

-Les vieux occidentaux ont essayé beaucoup de choses (gouvernement de gauche ou de droite, nationalisations ou privatisations d’entreprises ou l’inverse ). Ils en reviennent parfois, et sont blasés. Mais tous sont en recherche d’une régulation économique différente de celle que leur impose le roi « dollar », car ils perçoivent que le danger se situe précisément aujourd’hui dans l’évolution du monde de la zone dollar : Moyen orient, Asie.

C’est pourquoi un discours différent sur une politique de libre échange non capitaliste a quelques atouts pour être entendu à ce niveau européen. Les axes seraient :

-Une politique d’infrastructure et d’investissement prioritaire pour l’Europe (donc à l’inverse d’un marché laissé au libre arbitre du privé) et le maintien de fonds structurels pour les pays les moins développés.

-Une harmonisation des protections sociales à bâtir progressivement, les écarts se comblant petit à petit comme cela se fait encore avec l’Espagne ou le Portugal.

-Une fiscalité européenne combattant l’accumulation non productive passant par une harmonisation des impositions sur les plus-values et les bénéfices distribués selon des dispositions semblables à celles qui sont proposées ici. (voir D 2.1 à 2.6)

Cette action serait prioritaire par rapport à une harmonisation de l’impôt sur l’activité : revenus, charges salariales ou TVA. En effet la TVA malgré les différences actuelles aura tendance à converger pour les biens échangés sur toute l’Europe, du simple fait de la logique des marchés des biens transfrontaliers. Pour les autres il paraît sain que chaque pays ait la liberté de faire des choix différents d’organisation de leurs services publics en particulier pour les biens collectifs non-marchands, et de les financer avec des impôts adaptés, sur le revenu, les salaires ou même la TVA. Selon le mode de financement (individuel ou collectif) on observera des taux de prélèvements différents selon les pays, donc des impositions différentes, mais cette diversité à l’inverse de la fiscalité sur l’accumulation n’est pas un handicap !

Cette lutte pour une fiscalité européenne du capital régulant l’accumulation va absolument de pair avec une lutte contre les paradis fiscaux. L’ensemble donnerait de la cohérence à un politique alternative alter mondialiste actuellement encore perçue par la majorité de nos concitoyens comme un mélange peu crédible d’utopie et de voeux pieux.

-Une politique monétaire ensuite : L’Europe s’est dotée, avant même l’euro de l’année 2001, d’une monnaie commune pour faciliter ses échanges, rendant encore plus solidaires des pays jusqu’ici tentés d’utiliser la parité de leur monnaie comme un instrument de pression politique. Le résultat est là, pas encore totalement probant au niveau mondial, car une grande partie de poker menteur s’y joue; néanmoins nous n’en sommes plus à nous bagarrer sur nos taux de change respectifs au niveau européen. Ceci est un grand progrès et un facteur de stabilité. Une politique monétaire non capitaliste devrait donner à l’Europe les moyens à la fois d’avoir des taux d’intérêt bas et de réguler la création monétaire comme l’inflation. Aujourd’hui, les taux sont bas et l’inflation mesurée ; la banque centrale Européenne remplit donc parfaitement son rôle en ce sens qu’elle ne favorise par sa politique des pressions exagérées sur la rémunération du capital.

Le problème se situe aujourd’hui ailleurs dans la parité de l’euro avec le dollar, et dans notre relation politique affichée de libre échange avec ces pays. Il ne s’agit pas seulement d’un débat sur le capitalisme libéral, mais d’une «énorme partie de bras de fer avec ces deux blocs ». Cependant l’analyse précédente peut encore nous éclairer :


Il ne faut pas se cacher la réalité : nous sommes déjà en lutte contre une certaine accumulation mondiale incontrôlée, dominée par le capitalisme valorisé à travers le dollar. Etant donné le développement actuel des échanges, nous n’avons aucune chance de peser économiquement par des politiques franco-françaises, mais beaucoup plus de chances de peser efficacement (et avec la fiscalité des plus values court terme notamment), dans le cadre d’une Europe. L’euro est à lui seul, de part son existence, un problème pour le dollar ! Il le sera de plus en plus, et la Chine utilisera un jour au moment adéquat  vis à vis des Etats unis cette menace de transférer son épargne en euros!

Certes cette Europe est majoritairement capitaliste, mais elle est aussi majoritairement interrogative sur le développement économique et convaincue que celui-ci doit d’abord être au service des hommes qui y habitent et de la préservation des conditions de vie de la planète. L’enjeu est de donner à l’euro, non pas l’objectif de supplanter le dollar dans le monde (d’ailleurs la partie est loin d’être gagnée !), mais de promouvoir au travers de l’Euro un nouveau mode de régulation peu ou pas capitaliste.

Approfondir ce débat au niveau de l’Europe, dépasser nos contradictions culturelles et historiques, se doter de nouvelles règles de fonctionnement (monnaie et maîtrise de l’accumulation ), ne pas sacraliser l’échange marchand tout en défendant le libre échange et la libre entreprise, défendre des services publics pour les biens non-marchands et des interventions publiques lorsque le développement à long terme le nécessite, laisser une très grande souplesse aux entreprises collectivités dans l’application des directives et orientations élaborées à Bruxelles, ne surtout pas émettre des avis idéologiques sur le mode de propriété en laissant à chaque communauté choisir le statut de ses entreprises (publique, privée, mixte, concession, coopérative), telles pourraient être les lignes de progrès d’une Europe libérale et sociale non capitaliste.













François GIBERT Décembre 2004


francois.gibert@libertysurf.fr


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