Etre polytechnicien autrement : l'habitat ne fait pas le moine, ni la barbe le baba-cool


Ce n'est pas parce qu'on délaisse la ville pour la campagne, le tout à l'égout pour l'assainissement par les plantes, les Eaux et Forêt pour l'agriculture, le diesel pour le GPL, qu'on est forcément un doux dingue illuminé néo-soixante-huitard ermite, isolé et rêveur. Notre rencontre avec notre camarade Vincent Dameron (X93) et sa famille nous a convaincus qu'il est possible de mettre en pratique un changement réfléchi et cohérent de mode de vie, faisant la part belle au développement durable et aux relations interpersonnelles.


"Vous ne pouvez pas rater notre maison, elle a des panneaux solaires sur le toit!" m'avait-il dit au téléphone en rigolant.

Effectivement, nous voila arrivés devant cette habitation en ardoises et en pierres, visiblement en construction comme le laisse penser le vaste chantier dans la cour. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises...

Nous avions fait connaissance avec son propriétaire, Vincent, lors de la création de notre groupe de travail, par Internet interposé (http://www.polytechnique.net/polydees/asso.php ), voici près de 2 ans. Il nous expliquait avoir fait des choix de vie un peu "différents", sa décision semblait scientifiquement réfléchie en matière de développement durable et d'impact de ses choix sur l'environnement. Nous voulions mieux le comprendre, et surtout le connaitre. Voilà qui est fait. Et quelle aventure après une nuit de train!

D'abord le lieu: Marsas, quelques dizaines d'habitants, à 15km de Bagnères de Bigorre,au pied des Pyrénées. Quelques maisons éparpillées dans un vallon verdoyant, quelques vaches, des chevaux; des pancartes nous indiquent des fromageries artisanales. Au loin, quelques yourtes mongoles, les pétarades des fusils de chasse, et, surtout, un paysage montagneux magnifiquement boisé.

Ensuite, la maison: une ruine en rénovation, le rez de chaussée n'est pas encore habitable. Vincent, son épouse et leurs deux jeunes enfants logent à l'étage. On s'y sent bien: un poêle de masse à bois au milieu du vaste salon, une cuisinière godin, une décoration de bois et de pierres. Par ici, des touffes de laine rappellent que l'isolation est 100% naturelle. Par là, le pain bio cuit la veille dans le four. Plus loin vieillissent dans des faisselles des fromages faits avec le lait de Tulipe, la vache. Au fond de l'étage, les toilettes dites "sèches" surprennent (et méritent un détour à elles seules!). A l'extérieur, le jardin potager donne en abondance tomates, courges, concombres, et laisse entrevoir le circuit d'assainissement aérobie, qui remplace la fosse septique règlementaire.

A quelques mètres de là, nous entendons les bêlements d'une dizaine de brebis. Un agneau est né il y a quelques heures. On l’élèvera pour produire de la viande.

Au delà de ces quelques anecdotes, il est frappant de constater combien Vincent et son épouse ont re-pensé chaque acte de leur vie quotidienne lorsqu'ils ont souhaité changer de vie. Leur décision date de 3 ans. Après avoir travaillé quelques années à l'ONF et au Parc National des Pyrénées, au sortir de l'ENGREF, Vincent et Clotilde ont décidé de vivre dans la "simplicité volontaire", cherchant le meilleur compromis entre leur aspiration à la "décroissance" (c'est à dire une croissance autre, moins basée sur le PIB que sur les rapports humains) et la réalité de la vie dans nos sociétés. Ils se sont donc faits "agriculteurs", bientôt gîte rural: quelques brebis, une vache, un potager, des ruches, le ramassage des châtaignes, la confection du pain, le tannage des peaux. Pour leur faciliter la tâche, ils s'informent par de nombreuses revues bio ou écolo("la maison écologiques", "les 4 saisons du jardinage", « Silence », « l'Ecologiste »), ils se font aider par leurs voisins pour la construction de leur habitation et de leur grange, ils utilisent des matériaux "renouvelables" (murs en paille, torchis, chaux, isolation de laine de moutons, cellulose, chanvre, fibre de bois), ils pensent "bilan écologique" lors de leurs projets (chauffage au bois, installation de panneaux photovoltaïques pour produire de l'électricité et éventuellement la revendre à EDF, utilisation de l'eau de source du terrain, assainissement aérobie pour ne pas polluer, covoiturage avec les voisins pour les longs déplacements, achats groupés de produits alimentaires et ménagers bio). Et pourquoi rejeter le progrès : donc Internet, la voiture (au GPL de préférence), l'électricité (nucléaire, bien obligé la nuit pour ne pas investir dans des batteries polluantes), les outils de jardin à l’essence, le frigo (mais plus pour longtemps: est-ce vraiment utile?). Incompétents dans ces disciplines, nous percevons, derrière ces choix, un jugement scientifique solide.

Comme à notre habitude lors de nos réunions mensuelles, les discussions s'engagent sur des sujets divers: les côtés nocifs de la publicité, le partage du travail pour diminuer le chômage, la complexité du monde, la démocratie représentative et le TCE, les bons indicateurs de la croissance,...

La réflexion est là, la pensée est claire, si bien que nous questionnons nos habitudes et nos rituels de pensée. Cette famille semble heureuse, gaie, paisible, et pourtant si éloignée de nos modes de vie. A notre frénésie de travail, d'actions, parfois de consommation, à notre obsession de la réduction de chômage, à nos questions sur l'évolution du monde, Vincent et son épouse répondent par la sagesse et la modération.

Nous nous interrogeons: leurs choix de vie peuvent-ils être adoptés par l'ensemble de la population? Sont-ils durables? Auront-ils la persévérance ou les moyens de poursuivre longtemps leur projet? Leur réponse est simple, jamais dogmatique: ces choix sont accessibles à tous, sous condition de mutation qui ne veut pas dire renoncement: moins de consommation, moins de trajets, moins de pollution, moins d'amibition, mais aussi moins de stress, pour plus de liens sociaux, plus de vie familiale, plus de nature,...

Nous avons rencontré un polytechnicien d'une nouvelle espèce, celle de la décroissance et du développement durable. Vincent et son épouse ne vivent pas sur une île déserte, ils utilisent les bienfaits du monde moderne (société de l'information, Internet, nouvelles technologies de génération d'énergie), s'informent et débattent sur les grands problèmes de société, pratiquent le télétravail, tissent un réseau d'échange et d'entraide locale. Ils proposent une vision alternative et dynamique du monde, qui ne prétend pas à l'universalité mais préfigure peut-être le monde de demain.


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